Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/948

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son union avec l’âme; c’est que, outre la nutrition, il a la faculté de sentir; c’est que la sensation lui appartient, non à l’âme, et que l’âme de l’homme ne lui sert pas à sentir; que lorsque l’âme croit ressentir des instincts, des passions, des impulsions, des représentations, des douleurs enfin, cette âme pensante écoute de près, mais que ce n’est pas encore elle-même qu’elle perçoit. Quel est donc en nous le sujet de ces sensations que l’âme écoute, mais n’éprouve pas? Ce n’est pas l’étendue abstraite, ce n’est pas un principe immatériel; c’est la matière active, vivante et sensible.

Nous avons mis d’autant plus de soin à résumer cette théorie et nous devons d’autant plus y insister, que l’homme qui la propose, très spiritualiste lui-même se montre plus sévère à l’égard des chefs du spiritualisme français. Loin de nous l’intention de blâmer systématiquement les philosophes investigateurs qui, selon un mot récent de M. de Rémusat appliqué à Jean Reynaud, «hasardent plus qu’ils ne prouvent, mais font du moins penser ceux qu’ils ne persuadent pas. » Nous ne croyons pas davantage qu’il faille proscrire sans pitié l’hypothèse : on doit l’admettre au contraire lorsque les faits, en la justifiant dans une certaine mesure, promettent de la vérifier complètement tôt ou tard; mais enfin l’hypothèse elle-même, la plus audacieuse aussi bien que la plus timide, part toujours de quelques données connues sur lesquelles elle édifie l’inconnu, et elle se garde bien de sacrifier à cet inconnu l’élément expérimental qui fait déjà et qui, par la suite, augmentera sa force. Or, à ne parler que de la sensibilité physique ou capacité de jouir et de souffrir par le corps, où et comment M. Huet a-t-il connu cette faculté qu’il attribue à la matière vivante, en y ajoutant la conscience? En lui-même évidemment, sans quoi comment en aurait-il la moindre idée? Puisqu’il l’a connue en lui-même, il a vu d’une vue directe, immédiate, que le principe ou, si l’on veut, le sujet sentant lui était connu à titre d’être immatériel. S’il a vu cela, nous ne comprenons plus qu’il attribue à une matière, même vivante, ce qui est la propriété d’un être immatériel. A quoi il nous répond que l’expérience interne lui a révélé tout autre chose, et que sa conscience lui a affirmé que l’âme pensante connaît, écoute, recueille les sensations du corps, telles que la souffrance et le plaisir appelés physiques, mais qu’elle ne souffre pas de ces souffrances et qu’elle ne jouit pas de ces plaisirs. Voilà un point qu’on ne peut accorder. Quand on m’arrache une dent, mon âme fait plus que « d’être sympathique » à mon corps et de « s’intéresser » à ce compagnon souffrant : elle souffre personnellement, en elle-même, pour son propre compte. Si quelque chose est certain au monde, c’est cela. Spectateur d’une amputation, je compatis aux souffrances de