Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant une indemnité de quelques millions. Les auteurs du traité, passant par-dessus la tête de plusieurs princes sans héritiers, allèrent choisir le quatrième prince de la maison ducale, et c’est ainsi que du consentement du feu roi, du choix de toutes les grandes puissances, de l’aveu de la Prusse comme de la France, de l’Autriche comme de l’Angleterre, avec l’adhésion de presque toute l’Allemagne et du reste de l’Europe, avec le consentement de tous les représentans de la maison d’Oldenbourg, Christian IX est devenu roi du royaume-uni de Danemark, car il avait été choisi précisément pour en assurer l’intégrité et en maintenir ensemble toutes les parties.

Cet arrangement, un peu artificiel, mais très sage, ne changeait absolument rien à la condition légale, constitutionnelle, internationale, des états divers qui composaient le royaume ; il semblait seulement faire de l’existence intégrale de ce royaume un intérêt de premier ordre, un intérêt universel, un principe du droit public, et du dépositaire futur de cette couronne un client et comme un élu de l’Europe entière. Et en effet il parut un moment le favori du monde politique, à ce point qu’il n’y en avait pour ainsi dire que pour lui. Est-il question de marier le prince de Galles, la fille du nouveau roi de Danemark devient la future reine de la Grande-Bretagne. Un trône devient-il vacant sur les bords de la Méditerranée, c’est le second fils de Christian IX qui va régner sur les Hellènes. Et c’est le même monarque que trois puissances du premier ordre ont laissé attaquer, sans ombre de droit ni de motif, par l’Autriche et la Prusse, et dépouiller par elles de trois parts de ses états ! Pour la moralité, le démembrement du Danemark vaut le partage de la Pologne.

Il fallait rappeler ces faits, si connus qu’ils puissent être, afin de mettre bien en lumière la gravité de ce qui s’est passé, et du parti que les grandes puissances, notamment l’Angleterre et la France, ont cru devoir prendre. Ce parti, encore une fois, nous en concevons et les raisons et les avantages ; nous n’insistons même point sur ce qu’il a pu coûter à la justice et à la fierté des cabinets qui s’y sont résignés. Nous nous bornons à dire que c’était une question ou l’hésitation était permise, et dont la décision pénible n’est pas sans de sérieuses conséquences.

En effet, soyons francs, un seul motif, une seule idée, un seul principe, si l’on veut, a pu être allégué à l’appui du démembrement qui vient de s’opérer sous nos yeux : c’est le principe de la nationalité. La nationalité allemande, la fameuse Vaterland, voilà ce qui a passionné les peuples germaniques et couvert des intérêts et des convoitises qui avaient grand besoin d’un beau nom. C’est aux sentimens que ce nom réveille que les peuples ont cédé et que les gouvernemens ont voulu complaire. Les autres griefs sont fri-