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mélange de force et de douceur, d’autorité de la raison et de charme du sentiment qui n’appartiennent peut-être qu’à une femme sensible douée d’une tête saine. » C’est elle qui écrit notamment, avant le 20 juin, cette lettre au roi, démission motivée de Roland et dénonciation amère de la cour, — et, chose étrange, cette lettre destinée à provoquer une crise nouvelle, peut-être une révolution, un homme chargé du pouvoir la reçoit des mains d’une femme qui, selon son aveu, l’a «tracée d’un trait, » dans une improvisation, « comme tout ce qu’elle faisait de ce genre! » C’est elle enfin qui, après comme avant septembre, reste le lien de son parti. Dans ses réunions, elle donne l’impulsion, elle excite le zèle des négligens, elle relève les faibles, et si, dans un moment de danger où sa maison est menacée d’être envahie, on veut la faire évader sous un déguisement, elle rejette avec dépit tous ces ajustemens d’emprunt en disant : « J’ai honte du rôle qu’on me fait jouer. Je ne veux ni me déguiser ni sortir. Si on veut m’assassiner, ce sera chez moi. Je dois cet exemple de fermeté, et je le donnerai. » Il faut la voir dans cette double attitude, — ardente à rallier, à soutenir ses amis, et audacieuse, tantôt vis-à-vis de la cour, tantôt vis-à-vis des factieux démagogues qui menacent de submerger la France dans le sang.

L’importance de Mme Roland éclate dans ces saillies de Danton disant avec humeur qu’on a « besoin de ministres qui voient par d’autres yeux que ceux de leur femme, » ou s’écriant avec ironie, lorsqu’il s’agit de savoir si on invitera Roland à rester au ministère, que si on adresse cette invitation au mari, il faut aussi l’adresser à la femme. Et cette importance apparaît bien plus encore le jour où, mandée devant la convention nationale pour je ne sais quelle dénonciation, elle reçoit les honneurs de la séance au milieu d’une explosion d’applaudissemens : situation périlleuse, qui, en attestant sa position exceptionnelle, attirait sur elle les jalousies, les envies, les inimitiés, la haine féroce d’un Marat, qui la comparait à une Circé enivrant ses courtisans de corruptions, ou d’un Hébert, qui l’appelait la reine Coco et la montrait « menant la France à la lisière comme les Pompadour et les Du Barry, » avec Brissot pour grand-écuyer, Louvet pour chambellan, Buzot pour grand-chancelier, Barbaroux pour capitaine des gardes, Vergniaud pour grand-maître des cérémonies, etc. Je ne sais s’il est vrai, comme on l’a dit, que Mme Roland, par ses vives répugnances de femme ou par ressentiment, fut le plus grand obstacle à une réconciliation entre la gironde et Danton, réconciliation qui eût peut-être détourné la catastrophe. Toujours est-il que les girondins avaient livré le roi, que Danton livrait les girondins pour être livré à son tour, et que Mme Roland, toujours fidèle à ses amis, vaincue avec eux après avoir