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la réponse ? — Il n’y en a point d’écrite, monseigneur. — Je le savais bien, que vous me faisiez faire une fausse démarche. — Monseigneur, je me flatte que vous serez content. » Et aussitôt je lui répétai toute ma conversation, palliant les vivacités du maréchal, dont les termes avaient été peu ménagés au commencement, et, pour lui donner plus de confiance dans mon dire, j’ajoutai que M. de Crémille avait toujours été présent. Je finis en l’assurant que le maréchal se rendrait chez lui et que j’espérais qu’il lui demanderait à dîner. « Eh bien ! soit ; mais jusque-là je ne croirai rien. »

« Le lendemain, j’étais de bonne heure au moulin d’Edmeülle, où la chaîne du fourrage commençait à se former et où était la réserve des troupes très nombreuses, car nous étions tout près des ennemis. Le maréchal y vint, resta longtemps, et, comme il allait repartir, je lui dis : « Monsieur le maréchal, je vais vous servir de guide. » Il me dit en souriant : « Tu as bien envie de m’égarer. — Non, monsieur le maréchal, je vous mène chez les vôtres. — Ah ! quels vôtres ! Allons. » Nous arrivâmes à Hovarts ; le prince vint au-devant du maréchal, enchanté de la démarche. Ils traversèrent la salle à manger, assez grande pour quatre-vingts personnes. Le couvert était mis. Le maréchal dit : « Quoi ! déjà la table ! Il est donc bien tard ? — Assez, répondit M. le comte, pour que vous ne puissiez aller dîner chez vous. » Jugez de la joie du négociateur[1]… »


Quelques jours après, le maréchal, ayant changé de position, organisait un nouveau camp et y donnait au comte de Clermont un corps de douze mille hommes avec vingt pièces de canon et un régiment d’artillerie. Il faut ajouter que le comte de Clermont, de tous les princes du sang, était le plus digne de l’amitié de Maurice, et que son esprit militaire, sa docilité intelligente, sa promptitude d’action lui rendirent de grands services pendant cette campagne.

Il n’eût pas été aussi facile de réconcilier le comte de Saxe avec le prince de Conti. Dès l’hiver de 1746, Maurice, consulté par le ministre de la guerre sur le plan de la campagne prochaine, avait conseillé de dégarnir l’armée du Rhin pour fortifier l’armée de Flandre. L’armée de Flandre, c’était la grande armée, comme l’appellent tous les écrits du temps, celle que commandait Maurice, et qui avait mission de contraindre l’ennemi à faire la paix en l’effrayant par nos conquêtes. On a reproché, on reproche encore à Maurice de n’avoir songé qu’à la guerre de Flandre et de nous avoir affaiblis sur le Rhin ; Maurice, dans ses lettres à d’Argenson, répond d’avance à cette accusation, et il y a lieu de s’étonner qu’un grave historien démocratique ait emprunté aux pamphlets du XVIIIe siècle les griefs intéressés du prince de Conti. Maurice soutenait que l’armée du Rhin était plus nuisible qu’utile à nos intérêts, que les princes de l’empire n’étaient pas disposés à épouser la cause de Marie-Thérèse, et qu’ils se garderaient bien d’attirer la

  1. Souvenirs du marquis de Valfons, publiés par son petit-neveu le marquis de Valfons, 1 vol. Paris 1860.