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prise de Maurice, et Bruxelles, avec ses richesses et ses ressources de toute sorte, était devenue naturellement pendant l’hiver le quartier-général des officiers autrichiens. C’est là aussi que se trouvait la bande des gazetiers qui inondait l’Europe de mensonges. Maurice donne des passeports aux officiers-généraux ; quant au gazetier de Bruxelles, il l’arrête, et, le pauvre diable ayant juré dans son effroi qu’il n’était pas responsable des propos de sa gazette, puisque le conseil d’état la lui envoyait toute rédigée, il le fait interroger juridiquement, afin de constater la chose par acte authentique[1]. L’armée enfin, de quinze à seize mille hommes, est divisée en plusieurs détachemens et dirigée sur les diverses places de la frontière de Flandre. Cette expédition, « qu’on peut appeler grande, » comme dit Maurice avec une dignité modeste, cette expédition si nettement conçue, si vivement conduite, riche de tant de résultats, et qui ajoutait le Brabant à nos conquêtes, n’avait pas demandé quatre semaines. Maurice avait quitté Gand le 28 janvier 1746 ; le 20 février, il était maître de Bruxelles.

Une chose nous frappe après chaque victoire de Maurice, c’est l’extrême simplicité de ses rapports. « Le maréchal comte de Saxe, ayant été informé de la nombreuse garnison que les alliés avaient mise dans Bruxelles, résolut de l’y surprendre. » Ainsi commence sa relation du siège ; point de grands mots, nul fracas, et quand il annonce la victoire au ministre de la guerre, « vous aurez peut-être déjà appris, monsieur, que Bruxelles s’est rendu et que la garnison en est prisonnière de guerre, ainsi que vous le verrez par la capitulation ci-jointe… » Cette modestie du vainqueur donne plus de prix aux acclamations qui éclatent alors d’un bout de la France à l’autre. On est heureux de voir glorifier par toutes les bouches l’homme qui s’oublie lui-même. « Vos soins, votre prudence et votre fermeté, lui écrit le ministre de la guerre, ont heureusement surmonté tous les obstacles d’une entreprise aussi difficile, et vous venez d’acquérir au roi la plus belle conquête et la plus utile qu’il pût y avoir pour le bien de son service et la gloire de ses armes. Recevez le compliment que je vous en fais au nom de toute la nation. » Le roi lui écrit le même jour, c’est-à-dire à la première nouvelle de l’événement, et après des félicitations adressées au génie du chef ainsi

  1. « Il accuse M. le duc de Cumberland, M. le prince de Waldeck, M. de Kaunitz, M. de Koenigseg-Erbs, enfin presque tous ceux qui ont commandé ou eu part au gouvernement, d’avoir successivement fabriqué cette gazette. J’ai remis cette affaire à M. de Séchelles, qui aura l’honneur de prendre vos ordres. C’est une chose honteuse à des gens de ce rang-là de se mêler de déguiser la vérité pour soutenir la réputation de leurs armes par des mensonges ; c’est pourtant une des plus fortes branches de leur politique, avec laquelle ils abusent toute l’Europe, et ils méritent bien qu’on leur en fasse la honte. » Lettre du maréchal de Saxe au comte d’Argenson, Bruxelles, 27 février 1746.