Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous aurons pris Bruxelles et Anvers devant ce temps-là. Ces deux places occupées, nous pourrons nous retirer sur Louvain, et faire le siège de Mons et de Namur en même temps….. Voilà, monsieur, en gros, ce qui me paraît de plus convenable à faire pour la campagne prochaine. »


Le projet annoncé dans cette lettre, le projet dont Maurice a déjà entretenu le comte d’Argenson et qu’il va reprendre le 18 janvier, c’est la prise de Bruxelles. Déjà, aux derniers jours de décembre, il avait mis ses troupes en mouvement pour cette expédition, mais les pluies et le dégel avaient tout arrêté. Enfin le 15 janvier 1746, la gelée étant revenue et promettant de durer, les troupes s’ébranlent d’un bout à l’autre de la grande ligne qu’elles occupent. Où vont-elles ? La veille encore, nul ne le savait. Le secret a été si absolu, que, le comte de Lowendal, récemment nommé chevalier de l’ordre, ayant demandé un congé pour aller recevoir sa décoration à Versailles, Maurice l’a laissé partir. Un autre officier-général, appelé à Lille par ses affaires, y arrive le jour même où l’armée se mettait en marche, et, informé de l’événement par l’intendant-général M. de Séchelles, s’empresse de revenir à son poste. Quelles que soient pourtant les précautions du chef, on saura bientôt quel est son but. Déjà sans doute l’alarme est au camp des alliés, et le gouverneur de Bruxelles, M. de Kaunitz, va faire brûler les faubourgs de la ville, afin de la mieux défendre. C’était l’usage du temps, usage absurde autant que barbare, et auquel Maurice a eu l’honneur de mettre fin. Avec une franchise toute militaire, il s’adresse à M. de Kaunitz et l’engage à respecter les faubourgs de la cité dans le cas où les mouvemens qu’il va faire lui causeraient quelque inquiétude. « J’ai cru, lui dit-il, que votre excellence ne désapprouverait pas la liberté que je prends de lui en écrire pour l’engager à conserver un si bel ornement à la ville de Bruxelles. La destruction des faubourgs d’Ypres, Tournay et Ath n’en ont point rendu la prise plus difficile, et c’est une erreur de croire que ces bâtimens au-delà du glacis puissent être de quelque avantage aux assiégeans ; ils ne peuvent nuire à une place que dans le cas de surprise, contre laquelle il y a d’autres moyens de se garantir. « Bon sens et humanité, ce sont là des traits de caractère constans chez Maurice homme de guerre ; accoutumé à ne point ménager sa personne, il a toujours respecté la vie humaine. On voit ici autre chose que la sollicitude d’un Henri IV pour le bourgeois ennemi qui sera demain son sujet, c’est le sentiment humain du XVIIIe siècle, sentiment qui n’avait pas encore pénétré dans l’armée, et que Maurice exprime ici avec autant de loyauté que de candeur ; mais cette loyauté, le prince de Kaunitz y croira-t-il ? Maurice va au-devant de l’objection, car il ajoute : « Votre excellence ne doit pas soupçonner cette lettre d’artifice, si elle veut se souvenir de ce que j’ai