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qu’au Pérou, où seuls ils ont pu porter le pic sur le guano nauséabond des îles Chincha; à l’île de Cuba, où dans les plantations et sur les quais de La Havane ils remplacent peu à peu le nègre esclave; à Panama, où seuls encore ils ont pu travailler au chemin de fer inter-océanique, mourant par milliers du choléra, de la fièvre jaune ou des fièvres non moins pernicieuses développées par la fouille de ces terres empoisonnées. A l’île Maurice, à l’île Bourbon, jusqu’à Madagascar, nous avons retrouvé le Chinois, John Chinaman, comme l’appellent les Anglais. Intelligent, sobre, patient, il donne partout l’exemple salutaire du travail et de l’épargne, revenant au pays natal quand il a amassé un petit pécule. M. Figuier aura émis son assertion sous l’impression d’un vague souvenir de la loi toujours restée lettre morte qui défend en Chine l’émigration sous peine de la vie, ou peut-être aura-t-il pris le fait qu’il avance dans le récit de quelque missionnaire jésuite du XVIe ou du XVIIe siècle; mais son assertion n’en reste pas moins étrange. Nous avons peine à nous la figurer vraie à aucune époque que ce soit pour des peuples qui de très longue date dressent des cartes géographiques et qui, dès le temps d’Hérodote peut-être et sous le nom de Sériques, commerçaient déjà avec les Grecs, à qui ils vendaient la soie.

Comment donner à la jeunesse française les idées justes, exactes, qu’on lui reproche de ne point avoir en géographie, si le maître débute par des erreurs comme celle que nous venons de signaler? Dans chaque chapitre, il nous serait facile d’en constater de pareilles.

Il est un autre genre d’erreurs que l’on rencontre également chez M. Figuier, et ces erreurs valent bien la peine qu’on les signale dans un livre de géographie. Ainsi le pic (et non pas la montagne) que M. Figuier cite à l’Ile-de-France sous le nom de Pierre Bott s’est toujours nommé au contraire le Pieter-Boot, ce qui est bien différent. La montagne qu’il appelle en Corse le Monte-Tafonato n’a jamais été connue que sous le nom de Monte-Forato ou montagne percée. En géographie, il n’est pas permis de faire subir aux noms propres d’aussi étonnantes transformations.

Pour peu que l’on avance dans la lecture du livre, on rencontre de nouvelles erreurs. Le volcan de l’île Bourbon n’a jamais présenté deux éruptions par an; ses éruptions sont intermittentes, mais irrégulières et de nature variable. Les lagoni de Toscane ne sont pas de petits lacs naturels, ils sont produits artificiellement pour recueillir par dissolution l’acide borique. Celui-ci ne se dégage qu’au milieu des soffioni, immenses jets de vapeur d’eau venant des profondeurs du sol et qu’on a souvent comparés aux geysers de l’Islande. La Mer-Rouge, quoi qu’en pense M. Figuier, n’est pas rouge, comme pourrait le faire supposer son nom. Nous l’avons parcourue quatre fois sur toute sa longueur, et elle nous est toujours apparue, malgré toutes nos recherches, sous la couleur la plus azurée. La Mer-Vermeille de Californie, que nous avons également abordée deux fois, roule ses eaux bleues ou verdâtres jusqu’au fond du golfe de Cortez, et elle est loin de devoir la teinte sous laquelle on la désigne à une grande quantité de chevrettes, comme le pense l’auteur de la Terre et les Mers. Les chevrettes ne sont rouges que cuites, même en Amérique, et il est aussi faux de penser qu’elles colorent la Mer-Vermeille que d’appeler le homard le cardinal des mers, comme on avait un jour baptisé ce crustacé qui orne nos tables. La Mer--