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THEATRES.

LE DRAC.


Les lecteurs de la Revue connaissaient déjà le sujet du Drac[1]. De cette rêverie, comme l’appelait alors l’auteur, « qui ne devait être soumise à aucune critique officielle, » est sortie la belle comédie fantastique que le public vient d’applaudir au Vaudeville. Cette fois l’oreille et l’esprit s’emplissaient à l’aise de poésie. Une comédie fantastique, toute de parole et de sentiment, triomphant sans trucs et sans décors, et repoussant résolument le concours de ces auxiliaires matériels, dont le prestige assure tant de victoires, c’est là certes une nouveauté qui doit relever dans sa propre estime l’art dramatique contemporain. Aussi l’ondoyante fiction a-t-elle pris sans encombre possession de la scène et du spectateur; il n’y a pas eu même tout d’abord chez ce dernier d’impression haletante et indécise telle qu’il aurait pu peut-être s’en produire devant une œuvre d’un caractère tout nouveau et original comme le Drac. La circulation des idées et des sentimens s’est trouvée tout de suite établie; sans initiation préalable, le public a compris l’auteur et a ouvert d’emblée son âme aux doux parfums de poésie qui s’exhalaient de cette fantaisie à la fois gracieuse et virile. C’est que George Sand, dans le Drac, n’apportait pas seulement au théâtre cette puissance pénétrante d’observation intérieure et cet admirable langage qui sont la marque de son talent: il y apportait quelque chose de plus. Pour la première fois, il faisait entrer et pétrissait vigoureusement au moule dramatique une de ces rêveries qu’il affectionne tant; pour la première fois, ce profond sentiment de l’art et de la nature qui lui a inspiré tant de chefs-d’œuvre s’affirmait sur la scène avec toutes ses délicates et mystérieuses grandeurs. Dans l’étroit espace de temps et de lieu où se meut emprisonnée cette fantaisie qui s’appelle le Drac, l’écrivain rassemblait pour ainsi dire les élémens et les types principaux de ce monde charmant et divers qu’a créé une fois pour toutes son génie, et avec lequel il ne cesse de s’entretenir.

Dès le début de sa carrière dramatique, repoussant toute parenté littéraire et dédaignant les sentiers battus, George Sand s’en était allé tout doucement, à travers les chemins écartés, chercher une source de poésie neuve et émouvante. S’il n’avait pas immédiatement trouvé le secret de l’action rapide et entraînante, il avait bien vite saisi l’expression exquise des nuances les plus fugitives et les plus déliées. Il arrivait en quelque sorte au théâtre avec des façons sereines et mélancoliques qui rappelaient ces beaux paysages tranquilles de la Mare-au-Diable, ou ces soirs doucement empourprés qu’il excelle à peindre; mais la rapidité et les exigences techniques de la scène semblaient contrarier un peu ces développemens réfléchis auxquels le livre se prêtait si bien. L’écrivain était, par le sen-

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1861.