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il fallait compter en première ligne l’inquiétude et la grave diminution de sécurité que la malheureuse destinée du peuple danois allait infliger aux états encore mal assis. En parlant ainsi, c’est à l’Italie que nous songions : nous n’ignorions point les vives craintes que le délaissement du Danemark et la reconstitution de l’alliance du Nord avaient inspirées aux hommes d’état de l’Italie. L’avertissement était sérieux pour les Italiens; il leur commandait, en face d’une situation toute nouvelle de l’Europe, de se rendre un compte froid, consciencieux et sévère de leur propre situation, de rechercher les élémens de solidité et de sécurité qui étaient vraiment à leur portée, de se conformer aux circonstances et de borner leur ambition à la mesure du possible. Le malheur de l’œuvre si récente de l’Italie indépendante et une, c’est que cette œuvre est inachevée, c’est qu’elle présente une double lacune à Rome et en Vénétie, c’est qu’au cœur du pays un grand pouvoir spirituel proteste contre l’unité italienne, c’est qu’au nord l’Autriche avec son redoutable quadrilatère domine militairement la péninsule. Cet état de l’unité italienne inachevée est la grande difficulté non-seulement de la politique extérieure, mais de la politique intérieure de l’Italie. En faisant, cet été, son examen de conscience et son bilan, à la lumière des malheurs du Danemark, des dissentimens de l’Angleterre et de la France, de la renaissante alliance du Nord, le gouvernement italien a dû s’avouer à lui-même de dures vérités. Certes, si trois ans seulement après avoir levé au congrès de Paris le drapeau de l’émancipation italienne, M. de Cavour déclarait avec raison que le statu quo n’était plus possible pour lui, et qu’il valait mieux pour le Piémont affronter un nouveau Novare que de soutenir une attitude qui dépassait ses ressources et ses forces, le gouvernement italien était plus autorisé encore cette année à pousser un pareil cri de détresse ou de défi. L’Italie a été obligée d’entretenir une armée énorme. Le chiffre de ses soldats n’excède pas, si l’on veut, la proportion de sa population ; mais il dépasse de beaucoup trop la proportion de ses ressources financières. Il a été nécessaire d’établir dans les diverses provinces du nouveau royaume un système général d’impôts : des hommes d’un vrai mérite, M. Sella, M. Minghetti, se sont depuis trois ans appliqués laborieusement à ce travail d’organisation financière ; mais on n’ignore pas combien c’est en tout pays une tâche difficile d’imposer et de rendre productives de nouvelles contributions. Les résultats d’un pareil travail devaient être bien plus lents encore à se réaliser dans un pays dont l’organisation politique et administrative est si loin d’être complète. Les impôts ne rendent donc point en Italie le revenu que l’on en peut attendre pour l’avenir, un revenu surtout proportionné aux dépenses. Le statu quo politique et militaire de l’Italie grève annuellement les finances d’un déficit de plus de 300 millions. C’est dans les finances que les gouvernemens rencontrent l’inexorable limite où leur puissance s’arrête. L’Italie, en restant dans la situation où elle se trouve avec plus de trois cent mille hommes sous les armes, se condamne, même après la vente de ses chemins de fer et l’aliénation des