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et des Marcel, qui sur les grandes scènes de Vienne, de Londres, de Berlin, ont mérité ses applaudissemens; mais ce que je puis affirmer pour l’avoir maintes fois entendu de sa bouche, c’est que les trois artistes ayant figuré dès l’origine dans ce fameux trio de Robert et des Huguenots qu’on ne devait plus revoir restèrent pour lui jusqu’à la fin l’incarnation la plus vivante de son idée. Personne comme Meyerbeer ne s’entendait aux petits soins, aux prévenances, à ces mille gâteries auxquelles se montrent si sensibles les artistes les plus haut placés. L’admiration s’impose; mais la sympathie, il la faut conquérir, et ce que la sympathie des chanteurs pour un maître qu’ils aiment vient ajouter de puissance à leur exécution est un fait d’une telle importance qu’on se la devrait encore concilier, ne fût-ce qu’au seul point de vue du succès d’un ouvrage. Meyerbeer devinait bientôt les talens capables de le servir : si plus tard il lui arriva de rechercher les gloires consacrées, c’est qu’il sentait que l’âge ne permettait plus les longs atermoiemens. A sa première époque, il semble au contraire uniquement préoccupé de s’assurer des voix et des intelligences pour l’interprétation d’une œuvre dont au dedans, comme au dehors, il prépare les élémens.

Aujourd’hui cet homme n’est plus, mais sa pensée subsiste. On sait ce qu’il cherchait, ce qu’il voulait; une individualité pareille ne s’installe point quelque part pour quarante ans sans y marquer sa trace. Il existe à la Comédie-Française une tradition pour jouer ce qu’on appelle le grand répertoire; sa tradition, Meyerbeer l’a formulée dans la mise en scène de Robert le Diable, des Huguenots, du Prophète et si on remonte soigneusement chacun de ces ouvrages, qu’on évoque à cette occasion les souvenirs et les bons offices de certains témoins de la grande période. Je nommerai à l’Opéra tel employé, M. Leborne par exemple, dont les conseils en pareille matière deviendraient d’un précieux secours. J’incline à croire que sur ce point M. Fétis lui-même ne me désavouerait pas. Rien n’empêcherait d’ail- leurs le savant directeur du conservatoire de Bruxelles de présider à ces études toutes préparatoires. Désigné par Meyerbeer pour conduire les travaux de l’Africaine, M. Fétis viendrait de temps en temps jeter un coup d’œil sur cette troupe en train de se former, puis on verrait le cabalistique vieillard regagner à pas lents ce fameux cabinet meublé aux frais de l’état, et s’y renfermer dans la contemplation et la lecture du grand œuvre. Il y a eu musique, comme du reste dans les lettres et les autres arts, trois catégories de lecteurs, d’auditeurs et de juges : la première, qui jouit sans critiquer; la troisième, qui critique sans jouir; puis, entre ces deux extrêmes, la seconde qui critique en jouissant et sait jouir en critiquant, celle-là naturellement moins nombreuse, mais aussi très recherchée des maîtres, car elle refait en quelque sorte les chefs-d’œuvre. Il se peut qu’à ce compte M. Fétis offrît au choix de Meyerbeer toutes les garanties imaginables. Nourri dans l’étude du plus haut contre-point, blanchi dans le dogmatisme de l’école, imperturbable en ses convictions professionnelles,