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MEYERBEER
ET
L’AFRICAINE

Sur les nombreux carnets où Meyerbeer, vieillissant et de plus en plus recueilli, se complaisait à noter ses pensées et ses méditations de toute sorte, il est un mot qui reparaît à chaque instant, un de ces mots qui ne pardonnent pas. Tenace comme la conviction, obsédant, implacable comme la passion, il se mêle à tout, même aux prières. Je pourrais citer ici tel paragraphe où l’âme du grand artiste prosterné devant Dieu lui demande de prolonger assez longtemps son existence pour assister aux destinées de l’Africaine. Ce vœu suprême, Dieu ne l’a point exaucé. Meyerbeer fera défaut cette fois à l’appel de sa gloire; mais nous savons désormais, par l’importance qu’il y attachait au plus profond de sa conscience d’homme croyant et d’artiste impeccable, ce qu’un pareil ouvrage doit valoir. A le rendre dans son intégrité, à veiller religieusement à ce que pas une des beautés n’en soit perdue, vont concourir maintenant les efforts de tout un monde, ceux-ci légataires naturels du maître, héritiers de ses trésors, quels qu’ils soient, ceux-là s’instituant bénévolement, de loin, dépositaires de sa pensée et gardiens vigilans d’une renommée immense qu’un triomphe aujourd’hui ne saurait de beaucoup accroître, et qu’un échec, après tout ce qui s’est passé, pourrait amoindrir : tâche difficile, énorme, dont nous n’apercevons encore que les commencemens. Les traités sont conclus et paraphés, les rôles distribués; déjà le musicien érudit chargé de présider aux répétitions, s’enfermant dans son laboratoire de la rue Drouot tête à tête avec le manuscrit sibyllin, fixe les mouvemens, scrute les variantes, creuse, fouille et collationne du matin au soir : vous diriez le famulus Wagner allant aux découvertes à travers quelque mine d’or du docteur