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s’était engagé pour son frère, se plaignait rudement qu’on le fît manquer de parole; Pompée, quoiqu’il eût secrètement encouragé la défection, affectait de s’en fâcher plus que personne. Le malheureux Cicéron, attaqué de tous les côtés et tremblant d’avoir soulevé tant de colères, s’empressa de se soumettre et promit tout ce qu’on voulut. C’est ainsi que cette tentative d’indépendance ne fit que rendre son esclavage plus lourd.

A partir de ce moment, il semble avoir plus résolument accepté sa situation nouvelle, par le sentiment qu’il avait qu’il ne pouvait pas la changer. Il se résigna à combler d’éloges de plus en plus hyperboliques le vaniteux Pompée, qui n’en avait jamais assez. Il consentit à devenir, avec Oppius et Balbus, l’homme d’affaires de César et à surveiller les monumens qu’il faisait construire. Il alla plus loin, et voulut bien, à la prière de ses puissans protecteurs, tendre la main à des gens qu’il regardait comme ses plus grands ennemis. Pour un homme qui avait les haines si violentes, ce n’était pas un petit sacrifice ; mais du moment qu’il entrait si résolument dans leur parti, il fallait bien qu’il acceptât leurs amitiés comme il défendait leurs desseins. On commença par le réconcilier avec Crassus. Ce fut une grande affaire, et qui ne s’acheva pas en un jour, car lorsqu’on croyait leur vieille inimitié apaisée, elle se ranima tout d’un coup dans une discussion du sénat, et Cicéron maltraita son nouvel allié avec une violence qui le surprit lui-même. « Je croyais ma haine épuisée, disait-il naïvement, et je ne pensais pas qu’il m’en restât dans le cœur. » On lui demanda ensuite de prendre la défense de Vatinius; il y consentit d’assez bonne grâce, quoiqu’il eût prononcé contre lui l’année précédente une invective furieuse. Les avocats à Rome étaient assez accoutumés à ces brusques reviremens, et Cicéron en avait donné déjà plus d’un exemple. Lorsque Gabinius revint d’Egypte, après avoir rétabli le roi Ptolémée contre l’ordre formel du sénat, Cicéron, qui ne pouvait pas le souffrir, trouvant l’occasion bonne pour le perdre, se préparait à l’attaquer; mais Pompée vint le prier instamment de le défendre. Il n’osa pas résister, changea de rôle, et se résigna à parler pour un homme qu’il détestait, dans une cause qu’il jugeait mauvaise. Il eut au moins la consolation de perdre son procès, et quoique en toute occasion il tînt beaucoup au succès, il est probable que cet échec ne lui causa pas de peine.

Mais il comprenait bien que tant de complaisance et de soumission, et tous ces démentis éclatans qu’il était forcé de se donner à lui-même, finiraient par soulever contre lui l’opinion publique. Aussi s’avisa-t-il d’écrire vers cette époque à son ami Lentulus, l’un des chefs de l’aristocratie, une lettre importante, qu’il desti-