Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que si l’on avait eu à traverser une contrée déserte, et l’on se rencontrait au détour d’une rue avec la même frayeur qu’on aurait eue au coin d’un bois. Au milieu de Rome, il y avait des batailles véritables et des sièges en règle. C’était une manœuvre ordinaire que de mettre le feu à la maison de ses ennemis, au risque d’incendier tout un quartier, et vers la fin il ne se passait pas d’élection ou d’assemblée populaire sans que le sang ne coulât. « Le Tibre, dit Cicéron en parlant d’un de ces combats, fut rempli des corps des citoyens, les égouts publics en furent comblés, et l’on fut forcé d’étancher avec des éponges le sang qui ruisselait du Forum. »

Voilà dans quelles obscures convulsions périssait la république romaine et quels désordres honteux usaient ses dernières forces. Cicéron connaissait bien cette anarchie sanglante et les dangers qu’il allait y courir. Aussi avait-il pris, avant de rentrer à Rome, la résolution d’être prudent pour ne plus s’exposer à en sortir. Ce n’était pas une de ces âmes que le malheur rend plus fortes, et qui trouvent un plaisir amer à lutter avec la mauvaise fortune. L’exil l’avait découragé. Pendant les longs ennuis de son séjour en Thessalie, il avait fait un triste retour sur le passé. Il s’était reproché comme des crimes ses velléités de courage et d’indépendance, l’audace qu’il avait eue de combattre les puissans, et la faute qu’il avait commise de se lier trop étroitement au parti qu’il jugeait le meilleur, mais qui était évidemment le plus faible. Il revenait bien décidé à s’engager le moins qu’il pourrait avec personne, à désarmer ses ennemis par ses complaisances et à ménager tout le monde. C’est la conduite qu’il tint à son arrivée, et ses premiers discours sont des chefs-d’œuvre de politique. Il est visible qu’il penche encore vers l’aristocratie, qui avait pris une part très active à son retour, et il a pour la louer de beaux accens de patriotisme et de reconnaissance; mais déjà il commence à caresser César, et il appelle Pompée « le plus vertueux, le plus sage, le plus grand des hommes de son siècle et de tous les siècles. » En même temps, il nous dit lui-même qu’il se gardait bien de paraître au sénat quand on devait y traiter des questions irritantes, et qu’il avait grand soin de se sauver du Forum dès que la discussion y devenait trop vive. « Plus de remèdes énergiques, répondait-il à ceux qui essayaient de le pousser à quelque action d’éclat; je veux me traiter par le régime. »

Cependant il s’aperçut bientôt que cette adroite réserve ne suffisait pas à écarter de lui tout danger. Tandis qu’il faisait rebâtir sa maison du Palatin, qui avait été détruite après son départ, les bandes de Clodius se jetèrent sur les ouvriers, les dispersèrent, et, enhardis par ce succès, mirent le feu à celle de son frère Quintus, qui était voisine. Quelques jours plus tard, comme il se promenait sur la