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(26 du même mois) et de lui donner une forme qui pût paraître conciliante. Le prince Gortchakov ne s’y refusa pas le plaisir, il est vrai, de retourner contre la diplomatie française sa propre formule, et de convenir que la question polonaise était européenne en effet, puisqu’elle était… révolutionnaire. « Les tendances révolutionnaires, fléau de notre époque, se concentrent aujourd’hui en ce pays (en Pologne) ; le mal dont il souffre actuellement n’est pas un fait isolé : toute l’Europe en est affectée, et tous les gouvernemens devraient travailler de concert avec la Russie à apaiser ce désordre moral et matériel. » Le vice-chancelier russe ne négligea point non plus de prendre acte de l’opinion exprimée par le cabinet des Tuileries sur « l’insuffisance des combinaisons imaginées jusqu’ici (c’est-à-dire les stipulations de 1815) pour réconcilier la Pologne avec la position qui lui a été faite, » et de trouver dans une telle déclaration « un motif de plus pour ne pas recommencer des expériences qui ont été une source de malheurs. » En même temps cependant la réponse russe avouait « l’opportunité d’aviser au moyen de placer la Pologne

    du mois d’avril (dépêche de M. Drouyn de Lhuys au duc de Montebello du 16), M. de Budberg en appelait lui-même aux traités de 1815 « comme offrant un point de départ pour la discussion, » malgré le refus qu’avait opposé le prince Gortchakov à une pareille proposition de lord Russell dans le commencement du mois de mars. Devant l’intervention diplomatique imminente, le gouvernement russe se hâta de proclamer (12 avril) une amnistie, dérisoire il est vrai, jugée insuffisante par M. de Rechberg lui-même, mais qui ne laissa pas d’être significative. En même temps le vice-chancelier russe déclarait à lord Napier (dépêche du 6 avril) que le recrutement était abandonné : « le terme en était passé, » et il laissait l’ambassadeur anglais « sous cette impression qu’on n’avait pas envie de continuer le système. » Les procédés de la chancellerie moscovite devinrent d’une politesse exquise et parfois même excessive. Un jour (dépêche de lord Napier du 31 mars), le prince Gortchakov montra à lord Napier « l’extrait d’une feuille anglaise » où il était parlé « du traitement barbare infligé à un sujet britannique par un détachement russe en Pologne, » et lui annonça « qu’il allait immédiatement en référer en Pologne pour les renseignemens. » On sait ce que les autorités autrichiennes en Galicie faisaient et surtout laissaient faire contre les Russes ; mais M. de Rechberg poussa la malice jusqu’à chercher querelle au gouvernement russe au sujet d’une incursion de quelques cosaques sur le territoire galicien dans la poursuite de quelques Polonais fugitifs. « Le gouvernement russe (écrit lord Bloomfield le 9 avril) se montre tout disposé à faire des excuses et à donner satisfaction pour ces actes illégaux… » Les appréhensions du cabinet de Saint-Pétersbourg sont évidentes à cette époque ; il est vrai aussi qu’à cette époque encore le langage de lord Russell n’avait pas ce caractère ultra-pacifique qu’il assuma depuis. « J’ai dit au baron de Brunnow, — écrit-il à lord Napier le 10 avril, — que la communication du gouvernement de la reine était d’une nature pacifique, mais que, ne voulant pas l’induire en erreur, je devais dire quelque chose de plus. Le gouvernement de sa majesté n’a que des intentions pacifiques, mais cet état de choses peut changer, l’insurrection en Pologne peut continuer et prendre de plus larges proportions ; il pourrait survenir des dangers et des complications qu’on n’entrevoit pas pour le moment… » Pourquoi lord John Russell n’a-t-il pas continué sur ce ton, qui aurait peut-être fait réfléchir la Russie ?…