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nier, qui protestait au congrès de Dresde contre le projet du prince Schwarzenberg de faire entrer l’Autriche avec toutes ses possessions non allemandes dans la confédération germanique ? N’est-ce pas ce même traité qu’avait invoqué le cabinet des Tuileries dans ses efforts pour la Pologne pendant la guerre de Crimée ? Les complications italiennes n’ont-elles pas également eu leur point de départ dans les réclamations de la France contre certaines positions prises par l’Autriche en Italie, et que n’autorisaient pas les stipulations de 1815 ? Enfin, et dans le cours même des négociations qui font le sujet de ce récit, dans sa dépêche du 3 août 1863 M. Drouyn de Lhuys ne devait-il pas être amené par la force des choses à discuter in extremis avec le prince Gortchakov les conditions faites à la Pologne par le traité de Vienne, et à élaborer à ce sujet un mémoire[1] aussi substantiel que lumineux ?

Mieux donc eût valu se placer de prime abord sur un terrain connu au moins, sinon très large et solide, au lieu de chercher péniblement « un point de vue élevé » qui ne pouvait se trouver que dans une équivoque et un vague dont la diplomatie moscovite ne fut pas la dernière à s’apercevoir et à profiter. « L’ambassadeur de Russie m’a objecté, — écrivait le 17 avril M. Drouyn de Lhuys au duc de Montebello, — que notre communication ne paraissait pas préciser ce que nous désirons pour la Pologne, que nous nous bornions à invoquer les lois d’humanité et les intérêts européens, enfin que les traités de 1815 pouvaient offrir un point de départ pour la discussion, mais que les vues générales dans lesquelles nous nous renfermions n’indiquaient aucune solution déterminée. » Sans doute M. de Budberg ne cherchait ici que matière à discussion ou plutôt à chicane : la Russie ne songeait nullement à l’exécution loyale des traités ; mais c’était là une raison de plus pour l’exiger sans délai ni ambages. Qui sait ? en se voyant si complètement secondée par la France et si péremptoirement déboutée par la Russie sur le terrain légal qui lui était cher avant tout, l’Angleterre se serait peut-être laissé entraîner, dans le premier moment et alors qu’elle n’avait pas eu encore le temps de se refroidir, à des mesures plus décisives. Dans tous les cas, on n’aurait pas rendu au prince Gortchakov le jeu si facile ; on ne se serait pas trouvé à chaque nouvel échange de notes avec Saint-Pétersbourg dans l’embarras et la nécessité pénible de se demander ce qu’on voulait et si l’on était encore unis ; on n’aurait pas passé de longs mois à convenir de ces six points qui ne convenaient à personne. Les lenteurs si cruelles

  1. Annexe à la dépêche adressée au duc de Montebello. Documens diplomatiques, pages 57-60.