Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus en plus l’Autriche, à engager l’Angleterre elle-même dans une action dont elle ne saurait répudier les conséquences ? Le gouvernement français regarda donc dès lors avec plus de faveur les ouvertures que lui avait faites lord Cowley, et de son côté le comte Russell se montra plus accommodant sur certains points, à la suite même de l’échec que venait de subir sa tentative isolée du 2 mars 1863. En effet, la note que le chef du foreign office avait expédiée sous cette date à Saint-Pétersbourg au sujet de la Pologne n’a pas même eu les honneurs d’une réplique en forme de la part du cabinet russe. « Le vice-chancelier m’a déclaré, mandait lord Napier le 9 mars, que, par esprit de conciliation, il ne donnerait pas de réponse écrite aux observations du gouvernement de sa majesté… » Le prince Gortchakov s’était borné à discuter la dépêche du 2 mars oralement, et de son point de vue, avec l’ambassadeur britannique, en laissant à ce dernier le soin, ou plutôt « en lui confiant le devoir de communiquer à sa seigneurie (lord Russell) les sentimens du cabinet russe à cette occasion, » et ces sentimens étaient une fin de non-recevoir très catégorique. Peu satisfait d’un pareil résultat, lord Russell se déclara donc (dépêche au comte Cowley du 27 mars) « tout prêt à faire une représentation à la cour de Russie au nom de la Grande-Bretagne, de l’Autriche et de la France, » et c’est ainsi que fut inaugurée, dans la première partie du mois d’avril, l’action collective des trois puissances, que le cabinet des Tuileries n’aurait certes pas demandé mieux que de rendre aussi sincère et efficace qu’elle fut bruyante et stérile.

Une fois cependant engagé dans le système recommandé par l’Angleterre, il est à regretter que le gouvernement français ne l’ait pas adopté d’une manière pleine et entière, qu’il ne se soit pas placé d’emblée sur le terrain des traités de 1815 et n’en ait pas exigé l’exécution immédiate. On aurait ainsi gagné un point de départ fixe et précis pour les négociations ultérieures, et l’épreuve aurait été aussi prompte que décisive. Malheureusement le cabinet des Tuileries avait une répugnance profonde contre toute invocation de l’œuvre de 1815, et M. Drouyn de Lhuys (dépêche au baron Gros du 24 mars) se prévalut même de l’accueil fait par le cabinet russe à la note anglaise du 2 mars « pour ne pas insister sur un retour à l’exécution des actes du congrès de Vienne… et pour envisager plutôt la question polonaise du point de vue européen. » Ce n’était pas certes la considération du peu de faveur dont jouissaient auprès des Polonais les stipulations de Vienne qui engageait ainsi le gouvernement français à éviter ce terrain avec tant de persistance, car les fameux a six points, » auxquels le cabinet des Tuileries devait donner plus tard son assentiment, pouvaient pour le coup en-