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bien amer, même si elle se fût soumise immédiatement après la défaite de Langiewicz, mais elle aurait au moins été préservée de la ruine sociale et de la dépopulation en masse que devait plus tard, et après une année de guerre et de négociations, décréter contre elle un ennemi implacable et rendu furieux. Encore une fois, n’y avait-il pas alors pour la France un moyen de s’éviter à soi-même et à la Pologne les épreuves si décevantes et cruelles d’une intervention oiseuse qui devait décider ce malheureux pays à étendre la lutte meurtrière ? Quelques mois avant ces événemens (octobre 1862), et dans une intention dont on n’a pas ici à discuter l’opportunité, le gouvernement français avait voulu provoquer une intervention de l’Europe dans les affaires des États-Unis ; il en avait fait la proposition formelle aux diverses puissances, et sur leur refus il s’était empressé de constater publiquement ses efforts aussi bien que les obstacles qu’il avait rencontrés. Une démarche analogue était-elle tout à fait impossible dans la question polonaise et au moment dont nous parlons ? Après l’insuccès de la mission du prince de Metternich et devant l’invitation pressante de lord Russell de se joindre à ses représentations, le cabinet des Tuileries ne pouvait-il pas faire la déclaration solennelle et franche qu’une sommation péremptoire adressée en commun à la Russie et suivie au besoin de mesures coercitives le trouverait tout prêt, mais qu’il ne voulait pas participer à des notes timides, sans but, et qui ne sauraient qu’aggraver les malheurs de la Pologne ? La réponse de Vienne et de Londres à une pareille proposition n’eût pas été douteuse ; néanmoins en la provoquant, en la rendant publique, le gouvernement français aurait dégagé la situation de toutes les équivoques, il se serait assuré un moyen prompt et honorable de sortir d’une situation pleine d’obscurités et d’embûches, et il aurait en même temps sauvé en Pologne ce qu’hélas ! il y avait encore à sauver… Il est vrai qu’une telle démarche aurait eu l’inconvénient de mettre en lumière la position de chacun, il est vrai aussi que l’opinion publique n’était pas encore peut-être assez préparée à un abandon si complet de la cause polonaise ; mais ce qui probablement empêcha surtout de songer à un moyen si décisif, ce fut l’attitude problématique de l’Autriche. On ne cessait à Paris de se bercer de l’espoir que le cabinet de Vienne finirait par prendre une résolution vigoureuse ; des hommes considérables, des diplomates autrichiens très goûtés, continuaient de l’affirmer. À les en croire, il ne s’agissait que de gagner encore un peu de temps. Or ce temps, comment mieux le gagner et l’utiliser que par des représentations solennelles à la Russie que recommandait le cabinet de Saint-James ? Cela ne servirait-il pas à dessiner plus clairement les dispositions des puissances, à compromettre de