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s’abstenir complètement, ou peut-être bien faire quelque chose de plus?... Ce qui était évident toutefois, c’est que le cabinet de Vienne, malgré ses réserves, ses pudeurs, ses répugnances, ses allusions continuelles à « sa position particulière, » comme possesseur de la Galicie, parlait toujours de « son désir de marcher d’accord avec la France et l’Angleterre, » ne se refusait pas à la discussion, la provoquait même, et semblait attendre quelque projet plus sérieux, plus « avantageux. » Ce qui était surtout évident, c’est que M. de Rechberg, tout en professant sa parfaite sécurité quant à la Galicie, croyait toujours à la durée, à l’extension et à la gravité du mouvement polonais. Chose curieuse et qui donne à réfléchir : dès le début de l’insurrection, et à un temps où personne au monde, pas même les Polonais, ne lui attribuait une vitalité quelconque, il se trouva deux premiers ministres de deux états différens, qui, par des motifs très divers assurément et même contradictoires, s’accordaient cependant à lui prédire une longue et importante carrière. Déjà on connaît à cet égard les prévisions de M. de Bismark; quant à celles du comte Rechberg, elles frappent partout dans la correspondance de l’ambassadeur anglais, lord Bloomfield. « Son excellence m’a dit, — écrit-il le 5 février, — que l’insurrection dans le royaume prenait de plus vastes proportions qu’on ne s’y attendait la semaine dernière. » Le 12 février, « au sujet des nouvelles de la Pologne russe, le comte Rechberg me dit que les récits étaient contradictoires. Les succès des troupes impériales étaient importans; mais l’insurrection néanmoins s’étendait de tous côtés, et quoiqu’il pensât qu’on ne pouvait mettre en doute la répression finale du mouvement, il ne lui paraissait pas probable qu’on pût obtenir ce résultat avant longtemps. » Et encore le 8 mars : « Son excellence fit observer ensuite que le mouvement en Pologne, dont le gouvernement russe espérait se rendre maître au moment où nous voici, était plus que jamais loin d’être arrêté, et que la position est devenue plus critique... » La tête a dû quelquefois tourner au comte Russell au moment où il lisait ces appréciations de M. de Rechberg, car c’est précisément à ces mêmes dates que le résident anglais à Varsovie, le colonel Stanton, lui annonçait très positivement qu’il n’y avait plus ou presque plus d’insurrection en Pologne!

Toutes ces connivences administratives et ces réticences diplomatiques dont l’Autriche faisait preuve à l’égard du soulèvement polonais pouvaient bien n’avoir au fond (et n’eurent très probablement en effet) d’autre but que de narguer la Russie, « l’ennemie intime, » ainsi qu’on l’appelait à Vienne, et d’amener la rupture de l’alliance franco-russe, sujet de tant d’appréhensions; peut-être bien tendirent-elles aussi à fortifier en Allemagne, par les apparences d’un libéralisme que toute l’Europe célébrait alors à l’envi, l’influence