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les vues de la France ne seraient allées à rien moins qu’à ce que la Russie fît abandon complet du royaume de 1815, qui serait devenu un état indépendant sous le sceptre du grand-duc Constantin, petit état il est vrai, mais qui avait des espérances du côté de la Galicie, voire de la Posnanie, en cas de complications à venir. Et en même temps, soit qu’il eût voulu donner plus de force à ses représentations à Saint-Pétersbourg, soit qu’il fût vraiment convaincu de la nécessité absolue « de faire quelque chose pour la Pologne, » — comme le disait le prince Napoléon dans son discours au sénat, — le gouvernement français montra une telle ardeur pour la cause polonaise dans cette première moitié du mois de mars, que les rares amis de cette cause qui avaient une influence ou une position dans les hautes sphères crurent à une volonté très arrêtée et prête à l’action dans l’éventualité d’un refus de la part de l’empereur Alexandre. « Ce qui pourrait arriver de plus malheureux pour vous, — disaient alors ces derniers aux Polonais, — ce serait que la Russie acceptât les demandes exprimées dans la lettre autographe. » Enfin le courrier de cabinet, attendu avec une grande impatience, arriva de Saint-Pétersbourg dans le soir du 9 mars, et le lendemain M. de Budberg était reçu en audience particulière. On lui fit entendre que la réponse russe contenait des propositions tout à fait inacceptables, et l’ambassadeur aurait été congédié par ces mots : « Dites à l’empereur votre maître que si, ce qu’à Dieu ne plaise, j’étais forcé de me trouver dans un camp opposé au sien, j’en serais fâché et malheureux[1]. »

La tentative personnelle auprès de l’empereur Alexandre ayant ainsi échoué pour le moment, « il devenait nécessaire de suivre une autre voie, » ainsi que s’exprime un document officiel. C’est à ce moment, en effet, que le gouvernement français prit une résolution importante et même de la plus haute gravité, — la seule démarche du reste sérieuse et rationnelle qui eût été hasardée par l’Europe sympathique à la Pologne dans tout le cours des transactions que nous avons à raconter, et qui eût pu mener à une solution véritable, si Pergama dextra, si mens non lœva... Tout en ne

  1. Voici comment s’exprime, sur cet épisode des négociations directes avec la Russie, l’Exposé sur la situation de l’empire, page 104 : « Le cabinet français ne pouvait qu’approuver des demandes (il s’agit ici des demandes exprimées dans la dépêche du comte Russell du 2 mars dont il a été parlé plus haut) qui rentraient jusqu’à un certain point dans l’ordre d’idées plus général où il s’était placé lui-même; mais, pour laisser à la Russie le mérite d’une entière spontanéité, il s’abstint de les appuyer directement... Nous avions signalé au cabinet russe l’intérêt qu’il avait à prévenir, en prenant résolument l’initiative, les représentations diplomatiques; mais nous n’avons obtenu aucune promesse, aucune assurance qui nous permit d’espérer un résultat satisfaisant d’une plus longue insistance personnelle. Il devenait nécessaire de suivre une autre voie. »