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les signataires du traité de Vienne, le ministre remarquait qu’une telle représentation, pour être efficace, devrait être collective, ce qui rencontrerait probablement de graves difficultés. Le ministre n’insista pas même trop, pour le moment, sur cette nécessité d’une démarche collective, bien que lord Cowley semblât assez disposé à partager ses vues à cet égard. C’est que vers ce temps même, pendant tout ce mois de mars 1863, si gros de complications, le cabinet français avait ses regards tournés ailleurs; c’est qu’il avait noué, l’une après l’autre, deux négociations importantes dont il espérait tirer un profit plus réel et plus immédiat pour la Pologne que n’en promettait la démarche proposée par l’Angleterre, et qu’il convient d’étudier de plus près.

Soyons équitables avant tout, et gardons-nous bien des entraînemens d’un système en apparence simple et net. Si logique, si franche que puisse paraître au premier abord la marche recommandée par l’Angleterre, il entrait certes dans les hésitations de la France à l’accepter une pensée plus élevée que la crainte égoïste de rompre irrémédiablement avec la Russie, un sentiment plus élevé que la simple répugnance d’en appeler aux traités de 1815 : il y entrait la préoccupation sincère et juste du bien véritable que cette tentative pourrait apporter à la Pologne. Un tel bien ne pouvait en effet sortir de représentations bruyantes et solennelles, comme les projetait lord Russell, à moins qu’on ne fût, en cas de rejet, fermement résolu à en appeler à la force. Or le gouvernement français en savait assez sur les dispositions de l’Angleterre pour ne pas compter sur elle dans cette extrémité, qu’il fallait bien prévoir. Et alors n’y avait-il pas à craindre qu’une démonstration, imposante il est vrai, mais non suivie d’effet, ne tournât non-seulement à la confusion des puissances intervenantes, mais n’aggravât encore les malheurs de la Pologne, sur laquelle retomberaient dans ce cas infailliblement toutes les fureurs d’un ennemi irrité, mais non intimidé, blessé dans son orgueil, dans son amour-propre national, et rendu d’autant plus farouche contre la victime abandonnée de tout le monde? Les événemens ultérieurs ne sont-ils pas venus, hélas ! prouver avec trop d’éloquence combien fondées étaient ces craintes et ces prévisions? « Les représentations amicales adressées à la Russie ont été interprétées comme une intimidation et n’ont fait qu’envenimer la lutte,... » disait le discours impérial du mois de novembre 1863, et ce mot est à la fois la censure méritée de l’empressement de l’Angleterre au mois de mars et l’apologie irréfutable des hésitations de la France à cette même époque. Avant de s’engager dans la voie que lui indiquait le cabinet de Saint-James, il était bien naturel que la France réfléchît, qu’elle cherchât s’il n’y avait pas d’autres voies