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sions civiles d’un peuple, ils manqueraient à un devoir élémentaire, s’ils pouvaient se complaire à la durée d’un tel désordre, s’ils épousaient les passions violentes et haineuses que l’un des partis en lutte nourrit contre l’autre, s’ils ne souhaitaient pas de bonne foi la fin honorable du conflit. Sans doute aussi entre deux causes qui se débattent au sein d’une nation, un étranger a le droit de faire des vœux pour le triomphe de celle qui lui paraît la plus voisine de la justice et de la vérité. C’est sous le bénéfice de ces deux observations que nous désirons la fin de la guerre américaine. Sans prévention hostile contre les confédérés, dont nous admirons les vertus militaires, nous souhaitons que cette guerre se termine par le rétablissement de l’Union et l’abolition de l’esclavage ; mais si malheureusement elle doit continuer encore, les principes de notre pays, ses intérêts, ses traditions, ses instincts, doivent bien plus porter les vrais Français à applaudir à un exploit comme celui de Farragut, forçant avec ses vaisseaux de bois la passe de Mobile, qu’à vendre des navires construits chez nous aux corsaires confédérés.

C’est avec cet esprit d’apaisement conciliateur que nous nous sommes efforcés d’apprécier ce qu’il nous répugnerait d’appeler les troubles de Genève, ce qui a été l’incident déplorable des dernières élections de cette ville. Un acte arbitraire, un attentat à la souveraineté électorale, avait été commis par le bureau vérificateur de l’élection. Le conseil fédéral de Berne a cassé l’arrêt aussi illogique qu’illégal du bureau électoral de Genève, et a proclamé la validité de l’élection de M. Chenevière. En même temps l’instruction se poursuit contre les auteurs de l’acte coupable de violence qui a entraîné la mort de plusieurs citoyens paisibles et désarmés. Ici c’est la justice qui fait son œuvre, et qui saura la terminer avec une inflexible équité. C’est lorsque les incidens des luttes politiques donnent lieu à l’action judiciaire, que des étrangers doivent surtout s’abstenir de prendre part aux ressentimens des partis hostiles. La modération ne sied-elle pas d’ailleurs alors au parti lui-même qui invoque l’action de la justice ? Nous devons dire à la louange du parti indépendant de Genève que par l’organe de son journal il vient de donner l’exemple d’une semblable modération. Le Journal de Genève a loyalement déclaré qu’il ne rendait pas le parti radical responsable de la triste fusillade de la rue de Chantepoulet, et que le parti indépendant n’entendait tirer de sa victoire électorale aucune conséquence qui pût altérer l’esprit et la lettre des institutions actuelles de Genève. Divisés en deux partis qui numériquement se balancent presque, les Genevois se condamneraient à la guerre civile ou plutôt à l’occupation fédérale indéfinie, si l’un de ces partis mettait obstacle à une conciliation bienfaisante en tenant l’autre placé sous une imputation odieuse. Il n’y a eu de coupables à Genève que des individus. Un parti tout entier et les institutions ne Pont pas été. L’expression d’un sentiment aussi élevé et aussi juste fait honneur à l’esprit politique du parti indépendant.

La diplomatie française et la Revue viennent de faire une perte sensible