Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou qui le détruisent. Pourtant ils ne l’ont jamais vu se décomposant à froid sous l’influence de la lumière en présence d’une matière inorganisée quelconque, et ce qu’ils ne peuvent faire, la moindre feuille éclairée par le soleil le produit immédiatement avec une rapidité et une abondance qui tiennent le naturaliste en admiration. En dix heures, une plante aquatique donne quinze fois son volume d’oxygène : une seule feuille de nénufar en répand 300 litres pendant chaque été, et M. Boussingault, ayant lancé dans un vase rempli de feuilles de vigne, au soleil, un courant d’acide carbonique, ne recueillit à la sortie que de l’oxygène pur. Eh bien ! il nous faut l’avouer, ce fait si commun, si aisément accompli par les feuilles à chaque heure du jour, la chimie ne le comprend pas et ne peut l’imiter.

Si nous ne pouvons réussir à saisir et à imiter les conditions d’un fait relativement aussi simple et aussi bien défini, quel n’est pas notre embarras quand nous voulons analyser les phénomènes chimiques et physiologiques qui en sont la conséquence ? Nous voyons en effet trois corps simples, et rarement quatre, se combiner dans des rapports indéfiniment variables, pour donner lieu aux composés les plus nombreux et les plus différens ; le bois, l’amidon, les sucres, des huiles, de la cire, des baumes, des essences agréables à l’odorat et des matières infectes, des fruits savoureux et des poisons violens, des acides comme le vinaigre et des alcalis comme la quinine ou la strichnine, des matières colorantes ou incolores, et en général des substances dont la variété infinie dépasse tout ce que l’imagination peut rêver. Ce n’est pas sans effroi que nous mesurons la profondeur de notre ignorance en présence de phénomènes, aussi multipliés et dont le mécanisme nous échappe aussi absolument.

Il y a cependant des esprits mal disciplinés qui veulent tout expliquer, surtout ce qu’ils ignorent le plus. On a dit que les plantes contenaient probablement des composés d’acide carbonique et d’azote se formant la nuit et se dissociant le jour à la lumière ; on a dit également qu’il existe dans les feuilles vertes une sorte de ferment tirant son activité du soleil et qui a pour fonction de décomposer l’acide carbonique. Ces explications n’ont pas seulement le défaut d’être illusoires et conjecturales, elles sont fausses, car les feuilles pliées qui conservent la même composition devraient continuer les mêmes fonctions, ce qui n’est pas vrai. Il y a aussi toute une école de naturalistes qui se contentent d’attribuer les fonctions des végétaux à ce qu’ils nomment la vie, sorte de force inaccessible qui suffirait à tout expliquer par la seule vertu, de son nom ; ceux-là me paraissent renoncer à toute espèce de progrès scientifique, comme les dévots ignorans qui expliquent tous les phénomènes en disant que c’est Dieu qui les fait.. Sans nul doute, c’est Dieu qui a réglé le monde, mais il nous permet quelquefois d’en contempler les rouages. Sans nul doute, aussi, c’est la vie qui règle les fonctions des êtres ; mais il faudrait, avant de la proposer comme la cause finale et l’explication dernière des faits, savoir un peu ce qu’elle est et de quels ressorts elle fait usage. On voit à quelle faiblesse nous