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pour nous servir d’un idiotisme contemporain. Les deux vocabulaires ont des points de contact, ainsi que peut le faire pressentir l’origine commune des deux noms que portent ces deux langues distinctes ; mais ils ne se côtoient et ne se mêlent que par momens. Le fonds du premier, — fonds immuable et de vieille date, bien que plusieurs locutions soient tombées en désuétude, — est une mosaïque où l’anglais d’autrefois joue le rôle de ciment. On y a incrusté des mots hébreux, slaves, persans, quelques-uns de la plus haute antiquité, à côté desquels se juxtaposent les emprunts faits aux langues vivantes européennes, l’allemand, l’italien, le français. Le fonds du second est plus homogène, plus exclusivement national. Les expressions archaïques, adaptées aux besoins nouveaux et parfois torturées afin d’y suffire, se combinent, pour le former, avec les nouveautés les plus hasardeuses. Les affluens étrangers s’y font moins sentir. C’est d’ailleurs essentiellement le langage du jour même, non celui de la veille ou du lendemain. Il n’a ni passé ni avenir, ni emploi sérieux, ni raison d’être. Produit, dans la rue comme dans les cercles de la high life, par le heurt continuel des causeries familières, le choc des répliques improvisées, il ne fournit guère plus de lumière que l’étincelle, guère plus de chaleur utile que l’éclair lui-même.

Revenons au cant, à sa formation cosmopolite. Vous y trouverez dès le début, et parmi les façons de parler que le temps a détruites, des mots de toute provenance : boung par exemple (bourse), qui vient du frison pong ; commission, chemise, de l’italien camiccia ; grannam, blé, du latin granum ; lag, eau, de l’espagnol agua ; pallyard, gueux, du français paillard, né sur la paille ; ken, maison, qui est évidemment le khan des Orientaux, et d’où vient lyb-ken, maison à lit, un mot métis d’origine franco-turque. Ce mélange de locutions empruntées un peu partout s’explique le plus naturellement du monde par l’existence même de ces tribus malfaisantes et nomades. Le receleur juif qui se chargeait de négocier les produits de leurs vols glissait facilement quelques mots d’hébreu dans un idiome qu’il s’agissait de rendre toujours moins accessible ; un autel, une messe, prenaient le nom de salomon, et le mendiant qui prétendait avoir séjourné à Bedlam (Bethléem), pour s’assurer le bénéfice d’une feinte folie, s’appelait un abraham (Abraham-man). Un prêtre s’appelait tantôt un patrico (de padre), tantôt un domine, l’église un autem, — ressouvenirs des prières catholiques en usage avant la réforme. Les marins revenus de la Méditerranée rapportaient des débris de cet italien bâtard qui se par le encore, sous le nom de lingua franco, sur les quais de Gênes comme sur ceux de Trieste, à Malte comme à Smyrne, dans les ports de Turquie et dans ceux d’Égypte. L’italien pur arrivait à Londres avec les sculpteurs errans