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moines furieux qui lui demandaient avec menace : « Es-tu pour Mélétius ou pour Paulin ? — Je ne suis ni pour l’un ni pour l’autre, répondait-il, car leurs affaires ne me regardent pas ; mais celui qui communique avec l’église qui m’a baptisé, je communique moi-même avec lui. » Un instant après, c’était un autre interrogatoire toujours accompagné d’insultes et de gestes menaçans : « Confesse les trois hypostases ! lui criaient les moines avec une effervescence croissante. — Je ne saurais me servir de ce mot, qui n’est pas dans les Écritures, répliquait-il tranquillement ; mais je reconnais dans la Trinité trois personnes consubstantielles, vraies, complètes, distinctes, ainsi que l’enseigne mon église, conformément à la foi de Nicée. » C’étaient alors des cris, des transports frénétiques. Quand il confessait de vive voix, on lui disait : « Confesse par écrit ; » quand il écrivait sa formule de foi, on lui disait : « C’est un mensonge ; » on l’appelait hérétique et païen. « Ce n’est pas cela qui vous importe, leur fit-il observer un jour ; mais vous voulez que je m’en aille, » et les moines ne cherchèrent point à le dissuader. Ses communications avec le dehors furent subitement interrompues, on le priva même de papier pour écrire : il s’en plaint dans une lettre qu’il fut obligé de tracer sur un chiffon abandonné. Moins patiens et moins fermes que lui, ses frères occidentaux se décidèrent à partir, « Adieu, lui dirent-ils, nous aimons mieux aller vivre avec les bêtes féroces que de rester avec des chrétiens pareils. »

L’hiver commençait ; les chaînes du Liban et de l’Anti-Liban avaient déjà reçu leur couverture de neige, et un vent glacial soufflait dans ces plaines sans fin. Jérôme, encore faible et à peine vêtu, n’osa affronter les rigueurs d’un long voyage à pied sous cette influence redoutable. Il demanda par grâce qu’on le gardât quelques mois encore, et ne l’obtint qu’à grand’peine. Aux premières haleines du printemps, quand les oiseaux du désert secouèrent leurs ailes pour regagner la vallée, il se mit en route avec eux, emportant le regret de la solitude, mais non celui des moines qui la lui avaient gâtée. Par une réminiscence de Virgile, son poète favori, il leur appliquait ces vers de l’Enéide :

Quod genus hoc hominum ? Quæve hunc tam barbara morem
Admittit patria ? Hospitio prohibemur arenæ.

« Quelle est donc cette race d’hommes ? Quelle patrie barbare admet de telles coutumes ? On nous refuse l’hospitalité d’un peu de sable !… »


V

De retour dans Antioche, il se remit au travail avec une ardeur et une suite que rien ne vint plus interrompre. Il composa sa chronique,