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du royaume de Naples, exilés dans les îles de l’archipel toscan, ont prêté fort utilement aux mines de l’Elbe le secours de leurs bras. Sous le nom de domiciliati coatti ou d’internés (mot à mot, domiciliés forcés), ils vivaient à Rio de la maigre paie de 40 centimes par jour que le gouvernement italien délivre à tous les exportés politiques, non compris le logement. L’idée vint d’employer aux mines ces pensionnaires de l’état, sans cependant recourir à la contrainte. Les manutengoli se sont pliés volontiers à ce travail, et ils n’ont pas tardé d’y gagner le même salaire que les ouvriers du pays, dont il a fallu cependant les séparer à cause des rixes et des coups de couteau. Quoi qu’il en soit, cet appoint de bras est venu fort à propos ; Depuis la fondation de l’unité italienne, les ouvriers de Rio ne portent plus la couffe qu’à la dernière extrémité. Ceux qui peuvent s’occuper à d’autres travaux en saisissent avidement l’occasion, et la jeunesse du pays ne veut plus se prêter à ce qu’elle appelle un métier de bêtes de somme. Ce ne sera pas un des côtés les moins curieux de la révolution qui s’est accomplie en Italie que d’avoir ainsi naturellement relevé le niveau intellectuel et moral du peuple, que tous les gouvernemens antérieurs s’étaient attachés à rabaisser. Les manutengoli, qui ont bravement accepté leur nouvelle position d’exilés et de mineurs, se montrent moins difficiles que les gens de Rio, ces Riesi si vite convertis au régime du travail libre ; mais ils ont aussi leurs tristesses. J’avisai un jour à Vigneria trois de ces rudes montagnards travaillant à forer une mine. L’un, assis sur le roc, tenait la barre entre ses mains ; les deux autres, armés d’une lourde masse, frappaient en cadence sur la tête du fleuret :


Illi inter sese multa vi bracchia tollunt
In numerum ........


Un rameau de fougère, étendu devant le trou, empêchait les éclaboussures de sauter au visage des mineurs, et l’ouvrier assis tournait le fer à chaque coup. Les hommes étaient bien groupés, pittoresquement vêtus : feutres coniques, guêtres à boutons. Les types pouvaient servir de modèles : figures basanées, barbes noires ; les yeux brillaient d’un éclat sombre. Je m’approchai. — Eh bien ! amis, on mène ici douce existence ; le climat est beau, le pays sain, le vin bon. — Eccellenza, me répondit l’un d’eux en jetant un regard inquiet sur la mer, c’est vrai ; mais cela n’est pas la patrie. Le minerai s’extrait à la poudre ou au pic. Quand la roche est friable, facile à désagréger, le pic suffit. Quand le terrain est dur, compacté, on l’attaque au fleuret. La poudre fait voler en éclats des blocs énormes, qu’on casse ensuite avec de lourdes masses et