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continuer des études commencées depuis longtemps sur l’Italie centrale me ramenait vers des bords que je n’avais point oubliés[1]. Ces études avaient surtout un intérêt géologique : je venais explorer de nouveau les mines de fer si abondamment répandues dans l’île. C’est d’ailleurs par ce côté principalement que depuis les premiers temps historiques l’île d’Elbe s’est signalée à l’attention du monde. Les Étrusques, les premiers qui l’occupèrent et qui lui donnèrent le nom qu’elle porte encore aujourd’hui[2], y découvrirent l’art de fondre le fer : jusque-là, le bronze avait tenu lieu d’acier. Des Étrusques, l’île passa sous la domination romaine, et jusqu’au VIe siècle de notre ère les maîtres du monde tirèrent de ses inépuisables mines tout le fer dont ils avaient besoin. Les barbares du nord la respectèrent, mais ceux de l’Orient, les Arabes, les Turcs, ces hardis écumeurs de mer, y firent de terribles descentes, Pise et Gênes se la disputèrent avec ardeur, tant pour en posséder les mines que parce qu’elle était une des clefs du canal de Piombino, qui avait au moyen âge, pour ces républiques maritimes, l’importance politique qu’ont aujourd’hui d’autres détroits. Les Médicis, l’Espagne, puis, au nom de celle-ci, le royaume de Naples, y plantèrent leur pavillon concurremment avec les princes de Piombino, substitués aux droits des Pisans. La petite île eut ainsi trois maîtres à la fois, tant on attachait de prix à la posséder, même d’une façon incomplète ; mais ses mines de fer furent toujours l’objet de la plus grande convoitise de ceux qui l’occupaient. Les Médicis furent les plus habiles, et, ne pouvant devenir les propriétaires des mines, ils s’en firent les fermiers ; les Espagnols en furent les gardiens.

Telle est en peu de mots l’histoire du pays sur lequel je voudrais rassembler quelques souvenirs, qui auront pour principal intérêt de montrer les véritables causes d’une prospérité sans cesse grandissante. Ayant visité l’île d’Elbe à plusieurs reprises, j’ai toujours vu le chiure de l’extraction du fer aller en croissant. Depuis dix ans, les mines sont même entrées dans une voie de production des plus remarquables, si l’on tient compte surtout de l’absence d’installations mécaniques, jusqu’ici repoussées de ces travaux, qui ont gardé leur cachet primitif. Malgré cette condition fâcheuse d’infériorité, l’exportation du minerai a doublé depuis 1858, et ces gîtes ont fourni en 1863 100,000 tonnes de rainerai de 1,000 kilogrammes chacune. La France consomme à elle seule les quatre cinquièmes de cette production. Aujourd’hui que le fer et surtout l’acier jouent

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 juin 1862 et du 1er juillet 1864.
  2. Ils, d’où les Latins firent Ilva, et par le changement si fréquent du v en b, Ilbe. Ils ne serait-il pas la racine d’insula, île ? L’île d’Elbe serait alors l’île par excellence, l’isola, comme l’appellent de préférence les Toscans.