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cette hypothèse, on reconnaît que les linéamens essentiels du moyen âge sont conservés, car il faut toujours qu’il reproduise l’esprit nouveau que le christianisme représente en face du paganisme.

Je l’ai dit plus haut, ce qui rend difficiles les discussions historiques sur l’art, c’est qu’on n’y remarque pas les phases ascensionnelles, si visibles dans le développement de la science. Aussi faut-il donner, pour le progrès dans l’art, une définition différente de celle qu’on donne pour la science, et dire qu’il se développe quand d’âge en âge il devient autre, en restant conforme à la beauté.


V. — DE LA PAPAUTE ET DE L’ORDRE RELIGIEUX.

Si l’ordre laïque sort de la subordination, l’influence de l’ordre religieux n’en demeure pas moins très grande. Trois aperçus historiques, sans lesquels M. Le Clerc n’aurait pu maîtriser sa matière, dominent dans son ouvrage : le caractère laïque du XIVe siècle, le grand éclat littéraire de la France dans les hauts temps, et l’action des conditions sociales et des pouvoirs politiques et ecclésiastiques. De la sorte, on a une vue réelle et générale de ce siècle tel qu’il fut en France, et même tel qu’il fut en Occident, si l’on ajoute que la France fut le principal théâtre de la lutte entre les deux pouvoirs, et que l’Italie prit la position éminente dans les lettres et dans les arts.

Avec le XIVe siècle s’ouvre l’ère papale, que l’Italie a nommée dès lors la captivité de Babylone, et qu’elle n’a jamais cessé de reprocher à la mémoire des papes d’Avignon. Ils appartiennent tous par leur naissance à des provinces du midi, ou déjà françaises, ou qui allaient bientôt le devenir. Ce fut Philippe le Bel qui transporta la papauté dans la ville d’Avignon en provoquant l’avènement du Gascon Bertrand de Got, évêque de Comminges, puis archevêque de Bordeaux, et devenu célèbre sous le nom de Clément V. On ne peut ajouter foi à l’anecdote racontée par le chroniqueur Jean Villani, que le roi et le futur pape se virent dans une abbaye au fond d’un bois près de Saint-Jean-d’Angély, et firent entre eux un trafic des choses saintes en un contrat en six articles, avec serment sur l’hostie ; mais la remarque de M. Le Clerc est juste : on rencontre à tout moment dans l’histoire de ces anecdotes suspectes ou fausses, qui ont un fond de vérité. Ici la rumeur populaire mettait en action ce qui était dans la pensée de tous, c’est-à-dire la condescendance des papes, durant trois quarts de siècle, pour la politique des rois de France. Ajoutons avec M. Le Clerc : « Cette longue confiscation de la papauté au profit d’une nation que ses rois surent mettre et maintenir en possession de la tiare, et qu’une telle suprématie, respectée de tout le monde catholique, aida puissamment à résister aux plus cruelles épreuves, ne fut point perdue pour l’émulation des esprits,