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Cela même n’est pas tout à fait exact, car l’on sait comment l’art du moyen âge a de nos jours fait preuve de vie et reparu dans les lettres, dans l’architecture, dans la sculpture, dans la peinture. À vrai dire, il n’y a eu ni pour l’un ni pour l’autre de renaissance, et c’est autre chose qui, depuis qu’on se remit en communication avec l’antiquité grecque au XVIe siècle, est revenu à la lumière. Ce qui est revenu, c’est la faculté d’apprécier et de sentir les formes que la beauté a revêtues dans les âges féconds, et de se composer ainsi un idéal de plus en plus étendu, rayonnant et magnifique. Au XVIe siècle, on ne fut capable de saisir l’art antique que dans sa forme littéraire ; le reste demeura muet. Au XVIIe, l’art grec est encore ignoré, on ne le connaît et l’apprécie que sous la forme latine, qui est inférieure. Parlez, si vous l’osez, aux gens du XVIIe et du XVIIIe de l’art gothique. C’est seulement de nos jours que l’art du moyen âge est senti et reconnu.

Il y a illusion à penser que l’art antique pouvait se transmettre directement aux époques subséquentes. Cela fut impossible, puisque le flambeau s’en éteignit entre les mains de l’antiquité elle-même. Il fallut le rallumer, et ce fut la charge du moyen âge. Là, dans le laps de quelques siècles, depuis le XIe jusqu’au XVe, on peut voir comment l’esprit des temps, à la fois poussé par son originalité propre et soutenu par les restes d’une tradition qu’il ne perdit jamais et respecta toujours, créa un nouvel idéal qui satisfit aux sentimens et aux aspirations du monde d’alors, car il n’y a point d’art ni d’idéal en dehors de ces conditions. Aujourd’hui on peut dire, on doit dire, en le prenant dans son ensemble, qu’il a bien rempli son rôle intermédiaire entre ce brillant paganisme, qui s’était laissé mourir d’épuisement et de vieillesse, et la puissante civilisation moderne, qui embrasse d’un coup d’œil sympathique et intelligent tous les temps et tous les lieux.

Ainsi il fallait à l’art un moyen âge, comme il en a fallu un aux institutions religieuses, politiques, sociales, et ici au mot d’art je donne un sens étendu, y comprenant aussi bien les belles-lettres que les beaux-arts, c’est-à-dire embrassant sous ce terme l’expression de la beauté intellectuelle, soit poétique, soit plastique, soit musicale. La seule hypothèse à laquelle je puisse songer, non pas pour refaire l’histoire, ce qui serait puéril, mais pour s’habituer à considérer un sujet historique sous toutes ses faces, la seule hypothèse, dis-je, serait d’imaginer que les Barbares ne sont pas venus, que la barbarie ne s’est pas mêlée à la civilisation, que l’empire romain, se dissolvant de lui-même, s’est reconstitué en des nationalités dont les limites étaient toutes marquées d’avance, et que l’art, inspiré par un nouvel état social, a cherché son idéal en demeurant plus près des enseignemens de l’antiquité. Même dans