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même des événemens, et de remanier ses récits toutes les fois qu’il change de protecteur, qui, fier d’avoir vu deux cents hauts princes, outre les ducs et les comtes, se charge, serviteur complaisant, de leur amener les lévriers qu’ils se donnent mutuellement comme accointances d’amour, — dont la verve n’est jamais plus heureuse que lorsqu’il fait célébrer par un capitaine robeur le brigandage des compagnies, et le nouvel argent qu’elles faisaient tous les jours, sous les ordres des meilleurs gentilshommes, aux dépens d’un riche prieur, d’un riche abbé, d’un riche marchand, sans dédaigner les bœufs, les brebis, la poulaille et la volaille du menu peuple ; qui, lorsque les paysans, poussés à bout, s’arment de leurs fourches contre leurs nobles seigneurs bardés de fer et se font tuer au nombre de plus de sept mille en un seul jour, loin de reprocher aux vainqueurs l’excès de leur vengeance, est tout prêt à crier avec eux : Mort aux vilains ! On sait que le grand admirateur de cette société qui finit est le chanoine Froissart. »

Cette société qui finit n’a plus de poésie. On lui répète encore quelques imitations de ce qui l’avait charmée deux siècles auparavant ; mais, à la différence des anciennes compositions, celles-ci, sans couleur et sans vie, n’excitent aucun intérêt hors de la France. Seul, dans la foule, un poème mérite d’être distingué ; mais c’est un poème héroï-comique, Bauduin de Seboure, où l’auteur des Variations du langage français voyait un précurseur de l’Arioste, et où en effet la raillerie et les grandes aventures se mêlent pour se servir de contraste.

Il parut, du temps de Charles V, un grand nombre d’écrits sur le gouvernement. Le Songe du Vergier est un dialogue entre un chevalier et un clerc sur la juridiction de la royauté et du sacerdoce. L’auteur, hardi à plus d’un titre, proclame hautement qu’on n’a pas le droit de convertir par force les infidèles : « Nul mescreant ne doibt estre contrainct par guerre ne aultrement pour venir à la foi catholique, et semble que contre les mescreans qui nous guerroient, seulement nous deussions faire guerre, et non contre les aultres qui veulent estre en paix. » Le Songe du Vergier n’aurait pas osé sans doute comprendre les hérétiques dans cette abstention pacifique qu’il recommandait à l’égard des infidèles, car saint Thomas avait dit : « L’hérétique ne doit pas seulement être séparé de l’église par l’excommunication, il doit être retranché du monde par la mort. » A des temps plus élevés en morale que la société catholico-féodale étaient réservées la doctrine et la pratique de la tolérance.

Il était assez fréquent que les trouvères ou les hérauts d’armes célébrassent en vers les tournois mémorables ou la vie de grands personnages auxquels ils étaient attachés. À ce genre appartient le poème sur la vie et les faits d’armes du Prince-Noir, par Chandos,