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nous transmettons à une jeunesse impatiente les leçons que nous avons reçues des Duperré, des Roussin, des Rigny, des Baudin, des Hugon, des Lalande, des La Susse, des Parseval, des Hamelin et des Bruat. La marine à vapeur a ses ancêtres dans la marine à voiles.

Il me semble que je parle d’un siècle passé quand je retrace des souvenirs qui n’ont pas encore vingt ans de date. Lorsque les souvenirs vieillissent avec cette rapidité, il faut se hâter de les fixer avant qu’ils ne s’effacent. Qui sait ce qu’une postérité que nous pouvons peut-être voir déjà courir dans les rues réserve à cette marine qu’elle ne connaîtra que par une vague histoire ? Quand la marine de l’antiquité disparut, elle ne laissa dans l’esprit des peuples que d’incomplètes légendes. Des textes mutilés ou imparfaitement compris imposèrent aux marins confondus les plus singulières croyances. Espérons qu’il n’en sera pas ainsi pour la marine dont nous avons vu la transformation rapide. Je ne me dissimule pas cependant que des questions qui avaient un si haut intérêt quand nous pouvions, d’un jour à l’autre, livrer à nouveau les combats de La Hougue, de La Dominique ou de Trafalgar, ne soient dès à présent tombées dans le domaine de l’archéologie. Ce qu’il nous importe maintenant d’étudier dans ces grands événemens, ce sont les hommes, le rôle que leur caractère y a joué, les ressorts qu’ils ont fait mouvoir. L’histoire technique de la marine peut vieillir, je ne crains pas de le répéter ; son histoire dramatique sera toujours jeune.

Nous avons vécu dans des temps trop paisibles pour avoir pu contempler de ces grandes figures qu’illumine encore un éclat légendaire ; mais si nous n’avons pas vu de héros, nous avons connu des âmes héroïques. L’homme à qui la fortune refusait obstinément une occasion, quand plusieurs de ses contemporains et de ses rivaux trouvaient à s’illustrer, est pourtant celui dont l’énergie confiante