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de son côté consacra sa vaste science, tour à tour subtile et profonde, à l’exégèse évangélique, et tout l’Orient voulut entendre ses brillans, mais hardis commentaires sur l’essence des mystères chrétiens. Jérôme, qui se fit son élève, l’admira sans embrasser des doctrines qui lui parurent douteuses, et conduisirent en effet le savant maître à l’hérésie ; mais il puisa du moins à son enseignement le goût de l’interprétation symbolique, si bien adaptée à sa vive imagination.

Dans l’enivrement de ces nouveautés, Jérôme semblait avoir oublié le but de son voyage, lorsqu’un incident l’y ramena. Evagre l’ayant un jour conduit à trente milles d’Antioche, au bourg de Maronie, dont il était propriétaire, ils visitèrent ensemble un vieillard nommé Malchus, qui vivait près de là, absolument seul, dans un endroit tout à fait sauvage. Enlevé autrefois par une bande d’Arabes scénites avec un convoi de voyageurs qui se rendaient de Bérée à Édesse en longeant la frontière des Ismaélites, il s’était vu traîner au fond d’un désert et condamner par les brigands, ses maîtres, à la garde de leurs troupeaux. Perdu dans des solitudes sans fin et désespérant de revoir jamais sa patrie, il appelait la mort à grands cris, quand une femme, sa compagne de captivité, lui parla de Dieu et fit rentrer le calme dans son âme. Il l’écouta et l’aima : tous deux vécurent l’un près de l’autre quelque temps comme des solitaires chrétiens, et parvinrent à se sauver ensemble. La femme entra dans un couvent de vierges, et Malchus, revenu en Syrie, ne voulut plus connaître d’autre existence que celle qu’il avait si longtemps menée au milieu des tentes des Scénites : il achevait alors ses derniers jours dans un lieu qui lui en retraçait le souvenir. Les paroles de cet homme simple avaient quelque chose de persuasif qui allait droit au cœur ; on y respirait comme un souffle de ces campagnes embrasées dont il peignait les ravissemens ; elles laissèrent Jérôme profondément troublé. Rejetant loin de lui les études et les livres comme des amusemens qui n’importaient point au salut, il résolut de partir immédiatement pour Chalcide. Évagre connaissait l’abbé d’un des grands monastères qui peuplaient la première zone de ce désert, il offrit de lui recommander les nouveaux hôtes, mais Héliodore ne voulut point être du nombre. Prétextant ses devoirs envers sa famille et les soins que réclamait le fils de sa sœur, il signifia sa résolution de retourner en Italie. Jérôme insistait ; il versa bien des larmes, nous dit-il, car cette séparation lui était cruelle : Héliodore fut inflexible. Nicias aussi s’excusa, et la troupe, réduite à Jérôme, Hylas et Innocentius, se mit en route pour Chalcide.

Le désert qui tenait son nom de cette petite et pauvre métropole confinait vers le midi aux terres des Arabes scénites, appelés déjà Sarrasins, et s’étendait à l’est, à travers des sables stériles, dans