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douté. Il mit sous clé l’envoyé du divan et fit route sur-le-champ pour l’Égypte. Ces nouvelles me furent données par l’amiral Stopford lui-même, qui parut le 20 juillet devant Rhodes. En quittant Malte, il s’était rendu dans les eaux de Chypre avec son escadre, et avait détaché le vaisseau le Vanguard devant Alexandrie. Le Vanguard avait vu l’escadre turque arriver sur les côtes d’Égypte et entrer quelques jours après dans le port. Le capitan-pacha avait vainement engagé le vice-roi à se rendre à Constantinople sur sa flotte pour y prendre en main la tutelle du sultan et la protection de la foi musulmane. L’amiral Stopford n’avait pas cru, d’après ces nouvelles, devoir paraître devant Alexandrie. Il avait pensé, comme l’amiral Lalande, que, dans les circonstances, la flotte turque était aussi bien en Égypte qu’à Constantinople sous la main des Russes. Il n’avait pas voulu cependant légitimer par sa présence la défection du capitan-pacha. Il se rendait donc à Paros pour y attendre de nouvelles instructions. L’amiral me parut peu empressé de se trouver en position d’agir avant d’avoir reçu des ordres bien précis. Hors le cas où les Russes se présenteraient dans le Bosphore, il ne croyait pas qu’il y eût autre chose à faire que d’attendre avec patience la marche des événemens. « Mon régime, me dit-il, n’est pas la diplomatie. « Il m’entretint longuement des difficultés que pouvait offrir le passage des Dardanelles sous le feu des forts, me chargeant toutefois d’assurer l’amiral Lalande que, si les Russes se présentaient à Constantinople, il n’hésiterait pas à tenter de forcer ce passage avec un bon vent de sud. « Vous pourrez juger, écrivais-je à l’amiral, de la loyauté et de la sincérité de votre collègue par ses dernières paroles : « Si, m’a-t-il dit, le bateau à vapeur la Confiance, que j’attends de Malte, vient, comme il en a l’ordre, me chercher à Ténédos, je prie l’amiral Lalande de se faire remettre les dépêches qui me sont adressées et d’en prendre connaissance. »

L’amiral Stopford avait obtenu le commandement de l’escadre anglaise dans un âge fort avancé. Il était à cette époque, si mes souvenirs sont fidèles, plus que septuagénaire. Il avait été l’un des capitaines de Trafalgar, et pendant toute la guerre nous l’avions constamment trouvé au premier rang. C’est lui qui, déjà contre-amiral, commandait la division de vaisseaux qui vint attaquer le 24 février 1809, sur la rade des Sables d’Olonne[1] trois de nos frégates. L’amiral Lalande avait, lui aussi, mais dans un rang plus humble, assisté à ce combat. Il n’était alors qu’enseigne de vaisseau. Les anciens ennemis étaient devenus alliés, le jeune homme des Sables se trouvait le collègue du vétéran de Trafalgar. L’amiral

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1858.