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à la pureté s’y rallièrent, et Paulin conserva un petit troupeau consubstantialiste à côté de Mélétius. L’église de Paulin se cantonna dans la ville, celle de Mélétius s’étendit de la ville à toute la campagne et, aux évêchés de la province qui ne voulurent communiquer qu’avec lui. Privé de l’appui des évêques syriens, Paulin se mit sous la protection de l’église de Rome, de qui il tenait ses pouvoirs par les mains d’un légat, de sorte que les catholiques d’Antioche eurent deux évêques, l’un reconnu par l’Occident et repoussé par l’Orient, l’autre légitime en Orient et schismatique en Occident. Cependant plus d’un évêque occidental, alarmé d’un tel état de choses, hésitait à suivre l’église de Rome dans le défilé périlleux où elle s’engageait de plus en plus ; on le savait à Antioche, et c’était afin de donner des explications et de lever ces scrupules inquiétans qu’Évagre avait fait le voyage d’Italie. Prêtre de l’église séparée et ami intime de Paulin, il sut présenter les choses sous la couleur la plus favorable et apaiser les Occidentaux. Évagre avait au reste un penchant involontaire à les juger lui-même ainsi, car, étant le personnage le plus important du clergé paulinien après l’évêque, qui était fort vieux, il entrevoyait à son insu peut-être le moment prochain où, grâce à la protection de l’église romaine, la succession épiscopale s’ouvrirait pour lui. Cette ambition de sa part ne présentait rien de trop étrange, car sa famille comptait parmi les plus notables et les plus riches de la province. Son père Pompéianus était fils d’un général frank qui, après avoir servi glorieusement sous Aurélien, avait reçu de cet empereur la concession de domaines considérables sur le territoire d’Antioche : agrégé à la bourgeoisie de la cité, le général barbare y avait pris femme, et son nom germanique s’était transformé en celui de Pompéianus, resté comme appellation patronymique à ses descendans.

Jérôme et ses compagnons se trouvèrent donc à leur arrivée en Orient enrôlés de fait dans une église que les Orientaux regardaient comme schismatique. Il fut ébloui tout d’abord par ce foyer de lumières chrétiennes que renfermait alors l’Orient, et auprès duquel l’Occident ne semblait que ténèbres. Les deux Apollinaris de Laodicée dominaient alors en Syrie par l’éclat du mérite uni au courage : le père avait été grammairien et poète, et le fils, de rhéteur éloquent, était devenu évêque. Quand fut rendu le décret de Julien qui interdisait aux professeurs chrétiens l’enseignement des lettres profanes, afin que la pureté de leur foi, osait-on bien dire, restât à l’abri de tout péril, Apollinaris le père mit une partie de l’Ancien Testament en centon homérique, et, grâce à ce subterfuge hardi, il offrit à la jeunesse chrétienne la substance du poète des poètes, en dépit d’une loi abominable qu’avait pu seule inspirer et dicter la haine clairvoyante d’un apostat. Apollinaris le fils