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celles qu’il avait déjà mentionnées… » Quand on prend si bien son parti de tels procédés, on prouve suffisamment, ce nous semble, que malgré l’insistance on n’a nulle envie de trop presser et de trop approfondir[1]. Ce n’est pas toutefois que lord Russell ait laissé échapper l’occasion favorable pour faire entendre quelques hautes maximes de droit des gens : « Il est évident, disait-il dans sa note du 2 mars, que, si les troupes russes ont la liberté de suivre et d’attaquer les insurgés polonais sur le territoire prussien, le gouvernement de Prusse devient partie dans la guerre qui sévit actuellement en Pologne. Si la Grande-Bretagne permettait à un vaisseau de guerre fédéral d’attaquer un navire confédéré dans les eaux britanniques, la Grande-Bretagne deviendrait partie dans la guerre entre le gouvernement fédéral des États-Unis et celui des confédérés… » A cela M. de Bismark répondait (dépêche de sir A. Buchanan du 5 mars) « que le cas était bien différent ; dans son opinion, les mesures que le gouvernement russe emploie pour supprimer l’insurrection ne peuvent pas être justement considérées comme une guerre où deux nations seraient engagées, et par conséquent on ne saurait dire que la Prusse est devenue partie dans une guerre entre la Russie et la Pologne, si ses troupes avaient ordre d’agir de concert avec celles de la Russie sur la frontière. » Le ministre de Guillaume Ier n’était pas en peine de distinctions ingénieuses, et quant à ces Polonais, par exemple, qu’il faisait saisir et livrer aux Russes, il se donna la satisfaction de répéter le fameux distinguo que son collègue le comte Eulenburg avait déjà fait entendre dans la chambre prussienne, à savoir que ces malheureux n’ont pas été « livrés à la Russie » (ausgewiefert), mais « expulsés par la frontière russe » (ausgewiesen) ! — explication, dit sir A. Buchanan, « qui a excité une grande indignation dans la chambre. » Mais lord John Russell était fermement résolu à ne s’indigner de rien ; ce qu’il désirait, c’était d’obtenir une déclaration formelle que le malencontreux traité était annulé purement et simplement : « Pourquoi, demandait-il (6 mars), le gouvernement prussien n’abandonnerait-il pas un arrangement pour lequel il ne paraît exister aucune nécessité ? » Il n’obtint pas cependant une déclaration solennelle à

  1. Il paraît cependant qu’il s’est trouvé un mortel assez heureux pour voir enfin la fameuse convention, et que ce favori de la fortune ne fut autre que l’ambassadeur français à la cour de Saint-Pétersbourg ! Lord Napier écrit en effet au comte Russell, sous la date du 5 février : « Le duc de Montebello m’a répondu qu’il avait vu la convention, qui a été conçue à peu près dans le sens annoncé antérieurement par le prince Gortchakov. L’article secret obligeait simplement les parties contractantes à une communication mutuelle de nouvelles relativement au progrès du mouvement. » On tenait donc enfin l’article secret ! Et lord Napier d’ajouter : « Comme je n’aime pas m’exposer à un refus, je n’ai pas exigé du prince Gortchakov de me montrer la convention ! »