Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Angleterre, comment surtout on a pu se flatter d’obtenir pour lui le concours de l’Autriche. Sans doute l’Autriche est la rivale séculaire de la Prusse : elle était bien aise à ce moment de faire acte d’un libéralisme peu coûteux, et, une fois engagée dans une action sérieuse, elle n’aurait peut-être pas reculé devant la perspective de trouver M. de Bismark en seconde ou troisième ligne parmi les adversaires à combattre ; mais compter que l’Autriche participerait à un plan de campagne combiné uniquement contre la Prusse, qu’elle engagerait d’emblée une lutte directe avec une puissance germanique sans aucun avantage réel pour elle-même et avec la seule certitude de recueillir immédiatement les imprécations de toute l’Allemagne pour sa trahison et son alliance avec « l’ennemi héréditaire, » c’était là se méprendre singulièrement sur la position, les vues et les nécessités politiques de l’empire des Habsbourg. La faute principale cependant et vraiment calamiteuse de ce système, nous ne l’avons pas encore indiquée : c’est qu’en essayant de détourner ainsi contre la Prusse l’orage soulevé par l’insurrection de Pologne, on ne donnait par malheur que trop d’aliment à des soupçons toujours en éveil et à des craintes soigneusement entretenues. On trouva en Allemagne, en Angleterre même, que ce détour pris pour arriver au cabinet de Saint-Pétersbourg à travers le cabinet de Berlin était trop étrange pour ne pas cacher une ruse de guerre, et on se demanda si « l’idée » pour laquelle la France se préparait à combattre ne finirait point d’aventure cette fois par s’appeler le Rhin ?…

Aussi le comte Rechberg ne manqua-t-il pas de décliner péremptoirement la proposition française, sous le prétexte passablement spécieux que l’Autriche « ne pouvait pas blâmer officiellement une convention dont elle s’était bornée d’abord à décliner la solidarité. » Quant à lord Russell, il se montra, chose singulière, aussi avisé que logique, et sa conduite fut non-seulement habile, mais eut toutes les apparences d’une grande droiture. Il traîna d’abord en longueur[1], tâcha avant tout de s’assurer de la véritable portée de la convention, éluda une démarche commune avec le cabinet des Tuileries dans cette affaire, envoya pour sa part des représentations à M. de Bismark, et fit tout son possible pour éteindre l’incendie de ce côté, pour se persuader à lui-même et aux autres que la convention était abandonnée, était devenue « lettre morte ; » mais en même temps il résolut de s’en prendre au grand coupable, d’interpeller

  1. Il est remarquable en effet que lord Russell ne demanda au baron Gros que le 2 mars (c’est-à-dire un jour après que la circulaire française avait déjà annoncé l’avortement du plan d’une note identique) copie du projet de note dont il avait eu connaissance dès le 24 février. Voyez le Blue Book sur les affaires de Pologne, n° 63.