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éclatante dans une circonstance difficile, elle n’en fut pas moins péniblement affectée et choquée de se voir proclamée si malade par un ami décidément trop zélé, et s’arrangea de manière à ne voir dans la grande conception de Berlin qu’un simple arrangement « pour la sécurité des frontières. » ii somme, dans cette première tentative, M. de Bismark fut débouté aussi bien à Saint-Pétersbourg qu’à Vienne, et en se retournant vers Berlin il s’y trouva tout à coup non-seulement en face des clameurs de la chambre, dont il se souciait fort peu, il est vrai, mais aussi en face des réclamations de la France, dont il fallut bien tenir quelque compte.

Ainsi qu’on l’a indiqué plus haut, à la nouvelle de la convention du 8 février, le gouvernement français s’était décidé à sortir du silence qu’il avait jusque-là soigneusement gardé sur les affaires de Pologne, et à donner le signal d’un vaste échange de notes. Était-ce seulement la compassion, violemment comprimée jusqu’à ce moment, mais réelle cependant, pour les malheurs de la Pologne, qui le disposait ainsi à l’action ? ou bien la démarche de la Prusse lui inspirait-elle des inquiétudes d’un autre genre et de nature à l’affecter dans des intérêts encore plus directs ou plus généraux ? Il paraît certain que dès l’abord on assignait à la convention du 8 février une portée beaucoup trop grande, celle en un mot que lui souhaitait sans doute le parti de la croix et que lui avait voulu donner M. de Bismark, mais qu’en réalité elle n’avait point réussi à acquérir. On se disait notamment à Paris qu’outre les arrangement militaires le traité en question contenait encore un article secret[1], et on allait jusqu’à soupçonner que cet article avait spécialement trait à l’Italie ou à la France. Quoi qu’il en soit, le 17 février, M. Drouyn de Lhuys adressait au baron de Talleyrand, ambassadeur de France à Berlin, une dépêche où, après avoir parlé de la « réserve » dans laquelle le gouvernement français s’était renfermé jusqu’alors « à l’égard des troubles survenus en Pologne », il exprimait le regret d’être « appelé sur ce terrain » par l’arrangement que le cabinet de Berlin venait de conclure avec la Russie. « L’existence même d’un accord écrit à ce sujet est à elle seule un événement d’une gravité incontestable… Mais l’inconvénient

  1. Voyez la dépêche de lord Napier du 5 février, citée plus loin, page 345, en note. Voyez aussi les débats de la chambre des lords du 11 juin 1863. Le comte de Carnarvon fait observer que « le noble comte Russell n’a rien dit touchant l’article secret. » Il serait bien aise de savoir si son noble ami peut donner à la chambre quelques éclaircissemens sur la nature de cet article ou communiquer là-dessus d’autres dépêches. Le comte Russell répond « qu’il a entendu parler diversement de la nature de l’article dont il s’agit, mais qu’il n’a reçu aucune information sur laquelle il puisse compter, ou qu’il puisse communiquer au parlement. »