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massacres de Galicie, avait toujours prêché à ses compatriotes la nécessité de se fondre avec les Russes dans un grand empire slave et de venger sur les Habsbourg l’oppression séculaire de toute une race. Le prince impérial que le marquis avait sollicité et obtenu pour lieutenant du royaume, et qui devait prêter à la nouvelle administration le prestige de son nom et de son autorité, le grand-duc Constantin, passait, lui aussi, pour l’ami, le chef même de ces slavophiles ardens de Moscou qui ne cessaient de méditer sur « la grande mission de la Russie. » Aussi les journaux de Cracovie et de Léopol eurent-ils toute liberté de ruiner le système du marquis Wielopolski dans son principe, de censurer sévèrement toutes les mesures de son administration, d’attiser le feu qui n’était que trop près d’éclater en un incendie violent, — et les plaintes réitérées et amères du gouvernement russe au sujet du langage des organes polonais en Galicie ne trouvèrent à Vienne qu’une fin de non-recevoir habilement abritée sous les conditions du régime libéral inauguré tout récemment. Enfin l’on verra bientôt quelle indulgence inaccoutumée, quelle compassion peu ordinaire rencontra décidément à son début, de la part des autorités autrichiennes, cette insurrection polonaise qui plus tard devait recevoir son coup de grâce par la proclamation de l’état de siège en Galicie.

Tandis que l’une des deux grandes puissances de l’Allemagne se renfermait ainsi dans une impassibilité avisée et expectante, la Prusse au contraire n’avait point hésité à s’immiscer dès le début dans les affaires de Varsovie d’une manière active, quoique indirecte, en prenant part aux embarras croissans du gouvernement russe, et en lui prodiguant des avertissemens et des conseils. Habituée depuis longtemps, et malgré toutes les vicissitudes de son régime intérieur, à s’identifier avec la Russie dans les grandes questions européennes, animée d’ailleurs contre l’élément polonais d’une haine instinctive, invincible, et qui, grâce au développement de la politique aussi bien que de la philosophie allemande, tend de plus en plus à devenir réfléchie et rationnelle, la monarchie de Frédéric le Grand verra toujours avec humeur, si ce n’est même avec effroi, la résurrection, ne fût-ce que partielle, d’un peuple qui autrefois a été son suzerain, et dont elle avait plus que tout autre appelé et consommé la ruine. La cour de Berlin ne cessait donc de peser sur le gouvernement russe dans le sens de la répression, de le dissuader de tout système conciliant et réparateur ; elle alla jusqu’à lui dénoncer dans les agitations polonaises une influence étrangère, une machination soigneusement ourdie et entretenue par une puissance qui se disait faussement amie, et le roi Guillaume usa de son ascendant personnel sur l’esprit assez vacillant de l’empereur