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Il est décidé à abandonner la solution de ces questions à la marche générale des événemens[1]. » La marche des événemens ou plutôt une pensée conçue depuis quelque temps et qui s’était déjà fixée à cette époque conduisait vers la solution d’une autre question. Or, pour l’entreprise qu’on méditait en Italie, et où il était à peine permis de compter sur une neutralité ombrageuse de l’Angleterre, il fut jugé utile de se ménager de bonne heure l’amitié de la Russie…

La paix fut donc décidée et un peu hâtée, et le congrès de Paris présenta un spectacle qui au premier abord ne laissait pas d’étonner. La puissance la plus conciliante, la plus amicale même envers la Russie, fut la France, qui avait supporté le plus grand poids de la guerre, et qui avait pensé un moment à porter l’attaque au cœur même de l’empire des tsars. L’Angleterre, qui, d’abord récalcitrante, avait fini par entrer dans la guerre avec ses passions et n’en sortait qu’avec hésitation et regret, mettait dans ses procédés envers le plénipotentiaire russe beaucoup de retenue et quelque peu de rudesse. L’Autriche, qui n’avait rien fait et rien risqué, se montra la plus exigeante et la plus méticuleuse. C’est alors aussi que lord Clarendon se ressouvint de la Pologne, dont il n’avait voulu rien entendre pendant l’année précédente, et tenta d’introduire cette question au congrès. On a fait un reproche au gouvernement français de ne pas s’être saisi de l’occasion ainsi offerte, de n’avoir pas appuyé fortement la démarche du plénipotentiaire anglais, et recherché une discussion qu’il avait été le premier à recommander quelques mois auparavant. Eh bien ! on ne saurait partager ce grief, ni souscrire à un jugement sévère à cet égard. Il était trop évident que la tentative de lord Clarendon ne fut qu’une simple manœuvre, et il le prouva du reste par l’empressement qu’il mit à retirer sa proposition. Si l’Autriche eût été tant soit peu habile et prévoyante, elle se serait emparée de la circonstance, elle aurait plaidé une cause qui était d’accord avec ses intérêts et les traités, pour lesquels elle professait un si grand respect, et certes la France n’aurait pu alors se dispenser de lui donner sa voix. Qui sait ? la question polonaise aurait peut-être été posée à ce congrès de Paris à la place d’une autre ; mais l’Autriche se tut, et lord Clarendon se contenta de la déclaration du comte Orlov : que l’empereur Alexandre « avait résolu de rendre aux Polonais tout ce dont on venait de lui parler. » On sait comment ces promesses furent tenues dans la suite. Il faut remarquer seulement, pour la moralité à tirer de tout cet incident, que

  1. La correspondance diplomatique au sujet de la Pologne pendant la guerre de Crimée et le congrès de Paris a paru en partie dans les pièces présentées par le gouvernement au corps législatif et au sénat au mois de mars 1863, et tout récemment d’autres extraits en ont été donnés dans le journal ministériel the Globe du 14 juin 1864.