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de plus en plus aux leçons de certains enfans terribles de l’école de Manchester que l’organe de la City accusait naguère encore avec amertume « de vouloir faire de la Grande-Bretagne une toute petite île d’un Océan-Pacifique. » Et en regard de cette réserve, momentanée sans nul doute, de la France et de l’Angleterre, se dessine chaque jour plus clairement une volonté commune qui anime les trois cours du Nord et dirige leurs pas. Peu importe que cette marche combinée ait nom alliance, accord ou entente : ce qui est bien évident, c’est qu’à tout ce que hasarde M. de Bismark le comte Rechberg finit par dire oui, et le prince Gortchakov ne dit pas précisément non. Sans vouloir être trop pessimiste, il est cependant difficile de ne pas reconnaître qu’on est loin à cette heure des perspectives que semblait ouvrir à la justice et au droit la guerre de Crimée, des promesses que paraissait contenir l’affranchissement de l’Italie. Pour mesurer la distance que la politique continentale a parcourue dans cette voie fâcheuse, ne fût-ce que pendant les douze ou treize derniers mois, il suffit de se rappeler que l’année 1863 encore avait commencé par une imposante action européenne qui devait réparer, autant que possible, la grande iniquité des siècles passés, — le partage de la Pologne. Or l’année que nous traversons a été non-seulement marquée par l’abandon de cette cause, mais elle paraît destinée à enregistrer le plus patiemment du monde un autre partage également injuste d’un état antique et respectable, le démembrement de la monarchie danoise.

À Dieu ne plaise que nous désespérions de l’avenir et que nous doutions un instant du triomphe prochain de la justice ! Le droit et la liberté ont éprouvé plus d’une éclipse partielle sans rien perdre cependant de leur éclat et de leur force. Nous ne saurions admettre que la France et l’Angleterre aient définitivement renoncé à s’entendre ; nous nous souvenons du reste que les Alberoni n’ont pu se maintenir longtemps, même dans un siècle aussi amolli et nonchalant que le fut le XVIIIe. Le rétablissement de l’alliance entre les deux grands peuples de l’Occident est une sauvegarde souveraine et une nécessité si impérieuse de la civilisation qu’il ne tardera pas à se réaliser malgré tous les obstacles, et les vicissitudes récentes n’auront servi qu’à en faire mieux ressortir le prix, à mieux en assurer le maintien. Déjà cette conviction commence à s’imposer à beaucoup de gens de bien ; elle ne peut pas manquer de devenir plus générale, et nous voudrions, pour notre humble part, contribuer à la raffermir en exposant les causes qui ont amené l’état si peu satisfaisant de l’heure présente, en retraçant les origines et la marche graduelle des événemens qui ont déjoué plus d’une chère espérance.