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son enthousiasme, M. Duponchel ne craint pas de comparer la fertilité à venir des campagnes landaises à celles de l’admirable plaine d’Aiguillon, que les eaux réunies du Lot et de la Garonne ont déposée couche à couche. Grâce aux apports constans du canal de la Neste, vingt mille hectares de la surface des landes pourraient être ainsi changés tous les ans en campagnes d’une extrême fertilité. En moins de soixante années, pourvu que les propriétaires du sol aient le bon sens de se prêter à cette transformation au fur et à mesure de l’épuisement de leurs forêts de pins, les 1,200,000 hectares de terrains pauvres ou complètement stériles qui se trouvent au sud-ouest de la France auraient été ajoutés à notre domaine agricole. Et si le devis de l’ingénieur n’est pas erroné, cet incalculable accroissement de richesses serait acheté au prix de 6 à 7 centimes par mètre cube d’alluvions, — de 60 à 70 fr. par hectare de sol amélioré[1]. Fallût-il doubler, décupler même cette dépense pour obtenir les résultats espérés par l’ingénieur, il n’y aurait certainement pas à hésiter.

La discussion du devis présenté dans l’Avant-Projet de M. Duponchel étant spécialement du ressort des ingénieurs, il nous reste à savoir si le plan lui-même repose sur des bases solides et se trouve en parfaite harmonie avec les lois hydrologiques. Quant à l’abatage des argiles au moyen de jets d’eau et à la transformation des pierres en limon par la résistance des parois d’un canal broyeur, ce sont là des faits qu’ont suffisamment prouvés l’expérience des mineurs californiens et l’observation directe des torrens dans toutes les montagnes. Aucun doute ne saurait donc subsister à cet égard ; mais ce qui n’est pas encore suffisamment connu, ce sont les questions relatives au transport des alluvions et à la vitesse des eaux chargées de troubles. Les objections les plus nombreuses et les plus importantes faites au plan de M. Duponchel ont trait à ces problèmes d’hydrologie. Le courant du canal ne sera-t-il pas retardé dans une proportion très forte par l’énorme quantité d’alluvions qu’il devra transporter ? Les troubles suspendus dans l’eau ne se déposeront-ils pas en route bien avant d’atteindre leur destination ? Il est certain qu’il doit exister une grande différence de vitesse entre un cours d’eau naturel qui charrie au plus un millième d’alluvions, comme le Rhône, la Garonne, le Mississipi, et un canal

  1. Les frais de premier établissement des canaux de trituration et de colmatage sont évalués à 10,800,000 francs, et les frais d’entretien annuel à 1,125,000 francs. D’après le rapport de la compagnie du chemin de fer du Médoc, les propriétaires des landes voisines de la Gironde trouveraient avantage à se procurer au prix de 6 à 7 francs la tonne les vases du fleuve, et à les transporter sur leurs terres. Dans le système du projet, on pourrait répandre directement sur les champs des vases de même qualité à un prix dix fois moindres.