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aboutirait, comme le canal inférieur, sur le plateau de Lannemezan ; mais, au lieu de rouler l’eau pure du torrent, elle amènerait toutes les heures de 20 à 25 mètres cubes de débris calcaires détachés des pentes supérieures par le pic ou la poudre. Arrivés sur le plateau, les blocs et les cailloux entreraient dans un canal broyeur de 30 kilomètres de parcours et de 8 à 10 mètres de pente par kilomètre. Là, les moellons, entrechoqués et heurtés avec violence par le courant contre les murailles des bords et le pavé quartzeux, finiraient par être broyés complètement, et c’est réduits à l’état de boue qu’ils atteindraient la vallée du Bouès et se mélangeraient aux alluvions argileuses transportées par le canal de colmatage. Cette transformation rapide des blocs calcaires en un limon impalpable est un fait que l’observateur peut constater facilement dans toutes les hautes vallées où passent des torrens rapides. À l’issue des premiers cirques de la montagne, d’énormes blocs parsèment le lit et les berges du cours d’eau ; mais à chaque détour de la vallée les débris roulés par le courant diminuent de volume. Poussés par les eaux, les rochers s’arrondissent et se brisent ; ils sont transformés en galets, puis en graviers, et disparaissent enfin. Sur les dernières grèves, toute trace de calcaire a cessé de se montrer : on n’y voit plus que des sables quartzeux. M. Duponchel a constaté lui-même que les blocs calcaires transportés par l’Hérault dans la partie supérieure de sa vallée sont toujours réduits à l’état de vase après un parcours de 35 kilomètres. Si des pierres qui glissent le plus souvent sur le sable du fond dans une masse d’eau considérable sont ainsi broyées au passage des gorges rocheuses, elles seraient sans aucun doute réduites en poudre bien plus rapidement encore dans un étroit canal hérissé d’aspérités rocailleuses.

D’après le projet qui nous occupe, le grand canal de colmatage pourrait déverser chaque année à la surface des landes 200 millions de mètres cubes d’eau contenant 20 millions de mètres cubes de limon, soit un dixième de la masse totale. Cette vase argileuse, à laquelle le canal supérieur ajouterait 200,000 mètres cubes par an, serait répandue sur le sol sablonneux, de manière à former une couche unie de dix centimètres d’épaisseur. Mêlée par la charrue au sol quartzeux dans la proportion d’un quart ou d’un cinquième, le limon apporté du plateau sous-pyrénéen constituerait une terre labourable d’excellente qualité. Une grande partie des landes passerait ainsi, de la stérilité absolue, au maximum de production ; les bruyères, les pâtis, les maigres bois de pins, les maïs souffreteux pourraient être remplacés par les fourrages, les fromens, les plantes industrielles et maraîchères ; les terres désolées du Médoc, du Born et du Marensin deviendraient un des jardins de la France. Dans