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on a su employer partiellement les eaux de la Neste vers le milieu de leur cours pour alimenter un canal d’irrigation. Cette branche artificielle du torrent commence non loin d’Arreau, chef-lieu de la vallée d’Aure, puis contourne à mi-flanc les contre-forts des hautes montagnes où l’on exploite les beaux marbres de Beyrède et de Sarrancolin, et, s’élevant graduellement au-dessus de la profonde vallée de la Neste, finit par atteindre l’infertile plateau de Lannemezan, à plusieurs centaines de mètres au-dessus du torrent qui gronde en bas dans une étroite fissure. Ce canal de dérivation, qui fournit en moyenne de 6 à 7 mètres cubes d’eau pure à la seconde, est actuellement presque sans emploi. La masse liquide, arrivant au milieu de landes argileuses qui n’ont aucun besoin d’être arrosées, mais auxquelles des amendemens calcaires seraient indispensables, traverse inutilement le plateau désolé. Convenablement distribuée, cette eau pourrait rendre de grands services, surtout pendant les périodes d’étiage, aux agriculteurs des vallées profondes qui rayonnent en forme d’éventail autour du massif de Lannemezan ; mais les grands progrès agricoles qu’on attendait du canal d’irrigation ne semblent guère en voie de se réaliser.

L’auteur du projet croit qu’on pourrait utiliser ce canal pour la fertilisation des landes sablonneuses de la Gascogne. Son plan serait de prolonger de 12 kilomètres le canal actuel en lui faisant suivre la pente du plateau jusqu’au faîte qui sépare le bassin de la Garonne d’un autre vallon où coule le Bouès, l’affluent le plus oriental de l’Adour. La colline qui forme en cet endroit la barrière de séparation entre les deux bassins consiste en un long rempart d’argile ayant une hauteur d’environ 80 mètres et 7 ou 800 mètres d’épaisseur. C’est là le coteau que l’ingénieur propose de renverser pour en répartir les débris à la surface des landes. Il serait facile de désagréger par les moyens ordinaires ces terrains, qui parfois glissent d’eux-mêmes sur la pente, sollicités par leur propre poids ; mais qu’on se serve du procédé californien, révélé pour la première fois au public français dans la Revue[1], et la démolition des couches argileuses ne sera plus qu’un jeu. Si l’on dirige adroitement vers la base de la colline plusieurs jets d’eau provenant du canal d’amenée, il n’est pas douteux que d’énormes masses de terre s’écrouleront dans la vallée et se réuniront à la masse liquide glissant en une longue chute du haut de la colline. Tous ces détritus argileux sont les matériaux qui doivent se mélanger au sable des landes pour contribuer à sa transformation en sol végétal.

  1. Voyez la remarquable étude de M. Laur sur les terrains aurifères de la Californie dans la Revue du 15 janvier 1863.