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va se jeter dans la Garonne près de Montrejean. Les affluent supérieurs du torrent réunissent leurs premières eaux, les uns dans les combes de la chaîne frontière, les autres sur les pentes des montagnes d’Aragnouet, et principalement dans les bassins profonds qui s’ouvrent autour de la haute cime granitique de Néouvielle, l’un des géans des Pyrénées. Les grands cirques creusés jadis dans le roc vif par les glaciers qui s’épanchaient du sommet de la montagne sont remplis aujourd’hui par des lacs et des laquets étagés les uns au-dessus des autres sur les flancs du massif. Ces étangs profonds, le Doredom, le Caplong, le Domar et d’autres encore, renferment une masse liquide très considérable incessamment alimentée par la fonte des neiges et des petits glaciers. Le surplus des eaux s’épanche par-dessus le rebord inférieur du lac de Doredom, et forme ces magnifiques cascades de Couplan qui comptent parmi les plus belles des Pyrénées, et qui pourtant sont bien rarement contemplées par les artistes et les voyageurs.

Il serait facile, au moyen d’un barrage établi en travers de la fissure des rochers qui donne issue à toutes les eaux supérieures, de retenir à volonté la masse liquide dans le lac Doredom, pour déverser ensuite une quantité d’eau beaucoup plus considérable dans le lit de la Neste : à son gré, le gardien de la vanne pourrait tarir le gave ou décupler le volume des eaux d’écoulement. Ce serait là un avantage immense, qui permettrait d’emmagasiner en hiver et au printemps les eaux d’inondation et de les rendre à la suite des sécheresses, alors que les eaux sont trop basses dans le lit du torrent principal. Un barrage de ce genre, qui aurait pu servir à la régularisation du débit des eaux de la Neste, fut construit du temps de Louis XIV, mais il ne servit qu’à faciliter le déboisement de la contrée. Les sapins séculaires qui croissaient par milliers sur les flancs du Néouvielle et des montagnes environnantes furent abattus et précipités du haut des rochers jusque dans les eaux du lac Doredom. Lorsque le niveau des eaux grossissantes s’était élevé jusqu’au bord de l’écluse, les troncs d’arbres étaient poussés en radeau vers l’issue du lac, le barrage était soudainement ouvert, et l’immense cataracte d’eau, d’écume et de sapins entre-choqués plongeait avec fracas d’abîme en abîme à travers les défilés. Rendu inutile pour le flottage par le déboisement presque complet des pentes supérieures, le barrage du XVIIe siècle est tombé en ruine. Il y a quelques années, on essaya de le reconstruire dans l’intérêt des agriculteurs et des usiniers riverains de la basse vallée ; mais les travaux, qui devaient avoir pour résultat d’élever de quinze mètres environ le niveau du lac, ont été inopinément interrompus sans raison plausible.

Le barrage du lac Doredom est encore à terminer, mais du moins