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l’empoisonnement par piqûre, qui fait pénétrer rapidement le venin dans le sang, et amène la mort avec un cortége de symptômes particuliers que nous avons pour objet d’examiner et d’expliquer dans cette étude.

Le curare, introduit dans les tissus vivans à l’aide d’une flèche ou d’un instrument empoisonné, détermine la mort d’autant plus rapidement que le venin pénètre plus vite dans le sang. C’est pourquoi la mort est plus prompte quand on emploie une solution de curare au lieu du poison sec. Le degré de vitalité des animaux et la rapidité de la circulation qui en est la conséquence agissent dans le même sens. C’est ce qui fait que les animaux vigoureux sont plus faciles à empoisonner que les animaux languissans, et que, toutes choses égales d’ailleurs (taille de l’animal, dose du poison), les animaux à sang chaud meurent plus vite que les animaux à sang froid, et parmi les premiers les oiseaux plus vite que les mammifères.

La plaie empoisonnée par le curare n’est le siége d’aucune douleur ni d’aucune irritation particulière, le venin ne possède par lui-même aucune propriété caustique, de sorte que si la piqûre a été rapide, l’animal est empoisonné sans s’en apercevoir. M. Boussingault m’a dit que, lorsque les Indiens blessent des oiseaux à la chasse avec les petites flèches qu’ils lancent à l’aide d’une sarbacane, et dont la pointe est acérée comme celle d’une aiguille, il arrive souvent que l’animal ne sent pas la blessure et qu’il meurt sur place en une minute ou deux. Il n’en est pas ainsi quand on emploie de plus grandes flèches sur des animaux qui fuient ; néanmoins la paralysie due à l’action du poison arrive assez vite pour que l’animal s’arrête et n’échappe jamais au chasseur. Waterton raconte qu’en traversant les terres qui séparent l’Essequibo du Démérary, lui et ses compagnons rencontrèrent une troupe de sangliers. Un Indien banda son arc et frappa l’un d’eux d’une flèche empoisonnée ; elle entra dans la mâchoire et se rompit. Le sanglier fut trouvé mort à cent soixante-dix pas du lieu où il avait été frappé, et leur fournit un souper succulent.

Les symptômes de la mort par le curare offrent un aspect caractéristique sur lequel s’accordent tous les observateurs. On ne pourrait guère constater ces symptômes chez les petits oiseaux, dont la mort a lieu parfois en quelques secondes ; mais chez les oiseaux plus gros, chez les mammifères et chez les animaux à sang froid, la mort arrive dans un espace de temps qui varie en général entre cinq et douze minutes quand on a employé un excès de poison. Je rapporterai seulement trois ou quatre exemples ; ils seront l’expression exacte de ce que j’ai toujours vu se reproduire dans des expériences en quelque sorte innombrables que j’ai répétées depuis vingt ans.