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des consciences ne peuvent s’unir que par un libre choix. Supposer donc que la société ait le pouvoir de prescrire la religion, que ce soit l’état qui la donne, c’est attribuer à l’une et à l’autre une omnipotence qui est le principe du socialisme. Ces considérations vont jusque-là que ceux qui ont traité cette question en maîtres en sont venus à conclure que l’état ne pouvait avoir aucune religion, car s’il en a une, c’est pour la faire observer apparemment, c’est pour qu’elle soit celle des citoyens. Or une religion ainsi reçue d’autorité n’est plus de la religion dans le sens moral du mot, d’où il suit que, si l’état a une religion, l’individu n’en a pas.

Ces argumens, puisés dans l’idée de la conscience religieuse et dans le cœur même du christianisme, sont ceux qui ont amené de saintes âmes à résoudre la question de l’église et de l’état comme les esprits philosophiques. Ainsi se sont mis d’accord le libéralisme et la foi. Ce n’est pas le lieu de discuter les objections qu’on doit pressentir. Bornons-nous à dire qu’elles se ramènent toutes à la préférence donnée à la foi d’autorité sur la foi libre. La foi d’autorité peut paraître préférable tant au prêtre qu’au magistrat, parce que, plus facile à obtenir, elle va plus vite au but, qui est la prospérité de l’église ou la tranquillité de l’état ; mais on voit clairement que la question de morale est ainsi convertie en une question d’utilité.

Cette dernière façon de penser, quoique fondée sur des motifs d’un ordre moins élevé, n’est pourtant pas sans force : elle a pour elle d’être accessible à tous les esprits, appuyée par mille exemples, facile à pratiquer. Il n’est pas certain que, si on l’abandonnait pour la doctrine de la liberté, l’expérience réussît dans tous les états de civilisation. Les sociétés qui n’abuseraient pas de la liberté contre l’église, les églises qui n’abuseraient pas de la liberté contre les gouvernemens, sont-elles bien communes ? Les unes et les autres sont-elles prêtes à souffrir que les religions soient traitées comme des opinions, non plus comme des puissances ? Honorons, soutenons ceux qui cherchent à les éclairer. Puissent-ils, par leur doctrine comme par leur exemple, affaiblir les préjugés qu’ils combattent ! Cela seul serait déjà un grand progrès. J’applaudis à leurs efforts, je ne crois pas à leur victoire.


CHARLES DE REMUSAT.