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un échafaudage de cheveux tressés avec des fils d’or, l’autre répandait autour de ses tempes une pluie de paillettes dorées ; quelquefois des tresses brunes et blondes se mariaient ensemble sur la même tête, ou la plus belle chevelure noire se recouvrait d’une toison rouge chèrement achetée en Germanie : l’art d’être belle au IVe siècle consistait principalement à rendre la nature méconnaissable. L’application des fards était, après la coiffure, l’objet important de la toilette : ils étaient nombreux, et les moralistes ecclésiastiques nous en ont en quelque sorte dressé l’inventaire. Au premier rang figuraient le blanc de céruse, le minium et le noir d’antimoine, destiné à relever l’éclat des yeux. Quand une matrone romaine était ainsi peinte et coiffée, on posait délicatement au sommet de sa tête une mitelle persane, et le grand roi, s’il l’eût vue, eût pu la revendiquer sans trop d’erreur pour une de ses favorites. La robe d’une élégante de haut rang n’était ni de laine, ni de toile, même très fine ; on laissait ces étoffes vulgaires aux toilettes plébéiennes ; la matrone ne portait que de la soie, souvent mêlée d’or, et des tissus de lin si légers, qu’au dire d’un père de l’église ils couvraient le corps sans le cacher. Des bijoux, des perles, des pierreries de toute sorte, une ceinture d’or et des souliers dorés complétaient la parure d’une patricienne des riches quartiers de Rome au IVe siècle.

La fureur de la mode était alors pour les étoffes de soie brochée représentant des figures par l’ingénieuse combinaison de leurs trames, invention nouvelle, suivant les contemporains, mais plus vraisemblablement imitation des tissus en usage depuis des siècles dans la Chine et dans l’Inde. On étalait donc sur ses vêtemens des images d’oiseaux et de bêtes sauvages ou domestiques que les enfans se montraient du doigt en passant : des lions, des ours, des chiens, et même des chasses entières, ainsi que des scènes à personnages mythologiques ou historiques. Chacun choisissait suivant son goût et sa fortune ; mais cette mode, que les païens exaltaient comme une preuve du génie merveilleux du siècle, attirait la réprobation des prédicateurs chrétiens, qui n’y voyaient que l’œuvre de Satan, un piège tendu par l’idolâtrie aux âmes imprudentes. Il nous reste encore plus d’un sermon prononcé sur ce grave sujet. Les sermons eurent tort, et les femmes chrétiennes ne recherchèrent pas les étoffes nouvelles avec moins d’empressement que les femmes païennes ; seulement, tandis que celles-ci marchaient toutes bariolées des amours de Jupiter et d’Europe ou de ceux d’Adonis et de Vénus, les autres arboraient sur leur corsage, comme une confession publique de leur foi, quelque scène de l’Évangile ou quelque pieuse peinture de l’Ancien Testament.

Telle était la société laïque. Pouvait-on raisonnablement exiger