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Et ce n’est pas là l’unique résultat de cette transformation légale des choses spirituelles. Du moment qu’on s’est habitué à parler aux rois et aux peuples des intérêts de la religion, ce langage tout politique et par conséquent tout profane ne se perd pas comme un vain son. Pour être augustes, pour être sacrés, des intérêts ne cessent pas d’être des intérêts. Ils sont variables, subordonnés aux circonstances, servis ou compromis par les passions ou les calculs des puissans. Une fois accoutumé à attendre de ceux-ci la protection de ces intérêts, le prêtre le plus éclairé peut bien être tenté d’y ramener toute la politique ; cette protection devient à ses yeux le principal devoir des gouvernemens. Celui qu’il trouve froid ou dédaigneux pour sa cause, celui que d’autres devoirs non moins pressans obligent à lui résister perd ses droits au respect : son pouvoir, devenu suspect, est bientôt miné dans le secret des consciences, s’il n’est dénoncé du haut de la chaire ; mais bien plus souvent encore l’habitude de trop attendre du bras séculier rendra l’église indulgente jusqu’à l’abus pour les pouvoirs dont elle a besoin. Elle semble prête à canoniser le despotisme, si le despotisme est pour elle. Le principe d’utilité, qui fait si souvent une guerre victorieuse à la morale, peut entraîner jusque-là les ministres des autels, et c’est moins leur faute que celle de la condition qui leur a été faite depuis Constantin. De là le mot trop sévère de Montesquieu : « ecclésiastiques, flatteurs des princes, lorsqu’ils ne peuvent être leurs tyrans ! »

Ce serait trahir la vérité et ma pensée que de laisser ce reproche tomber exclusivement sur l’église romaine. Dans les communions dissidentes, le contact plus ou moins étroit, l’alliance plus ou moins intime des églises avec les pouvoirs publics a produit des effets analogues. Les protestans n’ont pas échappé aux entraînemens de l’intolérance, aux excès de l’esprit de faction, aux faiblesses de l’esprit courtisan, d’autant plus condamnables qu’ils étaient plus inconséquens, et que les principes et les souvenirs de la réforme auraient dû les mieux prémunir contre les torts et les violences dont ils avaient tant souffert. Sans remonter bien haut, ce qui s’est passé en 1824 et surtout en 1845 dans le canton de Vaud a été du plus mauvais exemple, et sur ce théâtre étroit on a vu à quelles extrémités peut conduire l’institution des religions nationales et appris en même temps par quels principes doivent être résolues les questions qui s’y rapportent, car jamais elles n’ont été mieux discutées. C’est que la passion, mise au service des intérêts d’une secte comme d’un parti, peut tout oublier, tout enfreindre. L’hérésie persécute comme l’orthodoxie. Il n’est pas jusqu’au presbytérianisme, le mode d’organisation ecclésiastique le plus libéral, le plus voisin, ce semble, de celui de la primitive église, qui ne se soit dans les premiers temps mêlé avec une vivacité peu scrupuleuse aux débats