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pieds, et en février 1844 une lumière brilla pour la première fois sur le sinistre groupe des Skerryvores. Cet édifice forme un bloc de maçonnerie cinq fois plus considérable que celui d’Eddystone Lighthouse. L’érection des phares dans de telles circonstances est le trait le plus frappant et le plus glorieux de l’architecture britannique. Les âges de la chevalerie ne sont point éteints ; seulement les héros sont aujourd’hui ces ingénieurs et ces ouvriers qui, avec une force d’âme bien supérieure au courage militaire, livrent bataille aux élémens pour rapprocher l’homme de l’homme en étendant les rapports de la navigation et du commerce. L’Océan lui-même semble admirer ces audacieux ouvrages, et s’écrierait volontiers avec le poète : « Ils sont grands, puisqu’ils m’ont vaincu ! Great I must call them, for they conquered me ! »

Une commission chargée d’inspecter les phares, les lumières flottantes, les balises et les bouées de la Grande-Bretagne publia, en 1861, un volumineux rapport sur les résultats de son enquête[1]. Les membres de cette commission avaient rempli leur tâche en conscience ; ils avaient fait le tour du royaume-uni, croisé les îles du détroit et visité même les côtes de la France et de l’Espagne. Chemin faisant, ils avaient interrogé mille cent quatre-vingt-quatre témoins et s’étaient procuré les renseignemens officiels de treize nations étrangères. L’état des appareils destinés à engendrer la lumière appela naturellement leur attention. Tous les genres d’éclairage étaient autrefois employés dans les phares de la Grande-Bretagne, et le dernier feu de charbon de terre, celui de St. Bees, ne s’éteignit qu’en 1822. L’huile est aujourd’hui la source unique de la lumière ; mais dans l’usage de ce combustible quelle diversité ! Parmi les feux, les uns sont fixes, d’autres tournent sur eux-mêmes, revolving lights, paraissant, disparaissant et reparaissant aux yeux des marins comme une étoile intermittente. Les couleurs varient et passent en quelque sorte par toutes les nuances du prisme, tour à tour blanches, rouges, vertes ou bleues. Une grande différence règne aussi dans l’arrangement des lampes. Deux systèmes connus, l’un sous le nom de catoptrique, et l’autre de dioptrique, ajoutent à l’éclat et à la portée de la lumière, soit par des réflecteurs, soit par de grosses lentilles de verre. De ces deux systèmes, le premier et le plus ancien a été pourtant généralement détrôné : l’appareil consiste aujourd’hui dans la plupart des light-houses en un foyer central recouvert d’une énorme cloche de cristal qui coûte quelquefois jusqu’à plus de 1,000 guinées (26,000 fr.).

  1. Commissioners : Lights, Buoys and Beacons, tomes XXV et XXVI des Parliamentary Reports, 1861.