Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faut en croire la tradition, à boire l’huile et à manger les chandelles. Encore devaient-ils en user sobrement, car avant tout il fallait qu’ils songeassent à alimenter la lumière du phare.

Le feu est l’âme du light-house, et c’est à entretenir ce feu que se consacrent les light-keepers avec la dévotion des vestales. Quoi qu’il arrive et quelque temps qu’il fasse, la lanterne doit briller à toutes les heures de la nuit et durant toutes les nuits de l’année. « Vous allumerez les lampes chaque soir au coucher du soleil, et vous les entretiendrez claires et limpides jusqu’au lever du jour », voilà pour eux le premier commandement ; tels sont la loi et les prophètes. Cette étoile du phare doit être à son poste sur le rocher comme un astre dans le ciel. À cette condition, mais à cette condition seulement, les hommes seront assez bien payés, bien nourris, bien vêtus : ils recevront dans leurs vieux jours une pension qui peut même, en certains cas, s’étendre à leur veuve ; une assurance sur la vie mettra pour jamais leur famille à l’abri du besoin. On leur fournira des livres et des médicamens, on leur inculquera certains principes de moralité, certaines habitudes d’ordre et de propreté qu’ils seront à même de transmettre à leur femme et à leurs enfans ; mais surtout qu’ils n’oublient point la lumière ! Ainsi qu’un drapeau dans une place forte, c’est la dernière chose qu’ils doivent abandonner après une défaite. Il y a deux ou trois ans, un phare qui s’élevait alors sur un point appelé les Double Stanners, entre Lytham et Blackpool, menaçait ruine depuis quelque temps à cause des envahissemens de la vague, qui ronge peu à peu les côtes en cet endroit. Vainement des ouvriers travaillèrent à consolider l’édifice en élevant de nouveaux piliers autour de la base et en fortifiant surtout la partie qui regardait la mer. Les gardiens s’aperçurent une nuit que la tour vibrait encore plus qu’à l’ordinaire. Le lendemain matin, ils découvrirent qu’une portion de la façade s’était écroulée, et que presque tous les fondemens du phare étaient minés par les eaux. Ils emportèrent leurs meubles, mais ils laissèrent les instrumens nécessaires pour allumer les lampes. Au tomber des ténèbres, la marée haute les enveloppa ; le vent soufflait avec une telle violence qu’il y avait très peu d’espoir que le bâtiment résistât jusqu’à l’aube, et pourtant la lumière ne brilla jamais plus éclatante que cette nuit-là. Le lendemain, un coup de vent abattit tout à fait l’édifice, mais les hommes se retiraient avec les honneurs de la guerre : le feu avait brûlé jusqu’au dernier moment.

J’aurais voulu passer la nuit au phare d’Eddystone ; malheureusement pour moi, c’est une faveur qui n’est accordée à personne. On craint que les étrangers ne dérangent les hommes de leur service ou n’interceptent l’éclat de la lumière en se promenant dans la