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d’Eddystone (eddy, tourbillon). Debout au milieu de ce cercle d’écume, le phare s’élance peint de bandes horizontales alternativement rouges et blanches : ces deux couleurs sont bien faites pour attirer les regards des marins[1]. À peine débarqués, nous escaladâmes de rudes marches taillées dans le rocher, et nous nous trouvâmes au pied de la tour, la face tournée vers la mer, qui nous enveloppait en grondant. Les deux pêcheurs qui m’avaient amené se découvrirent et agitèrent leur chapeau rond du côté de Plymouth, dont Eddystone est séparé par une distance de quatorze milles. C’est de près et en examinant les caractères de la structure qu’on peut apprécier la solidité de cette tour ; elle ne forme pour ainsi dire qu’une seule pierre, tant les pièces de granit, assemblées, selon le langage des architectes, à queue d’aronde, s’incrustent et se confondent les unes dans les autres. L’intérieur ressemble beaucoup, pour la disposition, à celui de tous les light-houses, étant composé d’une cuisine, de deux chambres pour les provisions, store-rooms, d’une chambre à coucher et d’une lanterne. Sur la corniche de granit qui règne autour du second store-room, on lit ces paroles qui n’ont jamais été mieux appropriées à la circonstance : « À moins que le Seigneur ne construise lui-même la maison, ceux qui la bâtissent travaillent en vain. » Puis sur la dernière pierre de l’édifice, au-dessus de la porte de la lanterne, l’architecte, joyeux et reconnaissant, a écrit : Laus Deo. Autrefois cette lanterne était éclairée par des chandelles ; mais en 1807, époque où le phare d’Eddystone fut réuni à Trinity House, on substitua à ce vieux système des becs de lampe avec des réflecteurs paraboliques de cuivre doublé d’argent. À une distance de treize milles, cette lumière est d’un éclat égal à celui de l’étoile la plus brillante dans la Grande Ourse. Une galerie règne vers le sommet de la tour, et du haut de cette galerie circulaire on domine l’immensité de l’Océan. Ayant à soutenir le choc de l’Atlantique et de la mer de Biscaye, cette construction a été mise plus d’une fois à de terribles épreuves. Par les gros temps, la multitude des vagues irritées s’é-

  1. Pour comprendre l’importance qu’on attache à la couleur des phares, il faut savoir que ces édifices répondent à deux besoins : la nuit ils éclairent, et le jour ils servent de point de repère aux marins. Dans ce dernier cas, ils ne sauraient être trop visibles. La couleur naturelle de la pierre ou du granit ne leur convient guère : elle se confond trop avec la nuance des rochers et ne tranche point assez sur la mer. De curieuses expériences ont été faites à cet égard. Les chasseurs d’oiseaux sauvages sur le bord de la mer ont reconnu que les volatiles de couleur foncée se laissaient plus aisément suivre par le regard, et que les jeunes cygnes, à cause de leur couleur grise, étaient les plus difficiles de tous à distinguer. Profitant de cet avis de la nature, les gardes-côtes, qui ont besoin de se cacher sur la mer, s’entourent de couleurs blanches ou grisâtres.